L’économie sociale et solidaire va-t-elle devoir licencier ? Hélas, la réponse est oui et certains mettront même la clé sous la porte. Vous avez vu sur Mediatico.fr ces témoignages alarmants du réseau Emmaüs ou de la ressourcerie culturelle La Réserve des Arts. Vous avez peut-être vu que l’ONG Oxfam, dirigée par Cécile Duflot, va fermer ses bureaux dans 18 pays et supprimer 1.450 postes, soit un-tiers de ses effectifs mondiaux : le coronavirus l’empêche d’organiser les évènements qui lui permettent de lever des fonds. Ce n’est que le début. Jean-Jacques Eledjam, président de la Croix-Rouge française, a raison lorsqu’il déclare au Midi Libre qu’il y a « nécessité d’intégrer un volet social au plan de relance (…) pour refonder une société plus résiliente, plus solide et solidaire ». Car le plus dur est devant nous.
Nous voilà donc à l’aube d’un mois de juin et d’un été très redoutés, en particulier parce que le chômage partiel va devenir plus restrictif : 60% du coût sera désormais pris en charge par l’État et l’Unédic, au lieu de 70%. Il faut dire que maintenir les salariés dans l’emploi coûte cher, très cher : 24 milliards d’euros. L’économie française, officiellement en récession, est également sous perfusion. Faut-il continuer, ou arrêter ? C’est une question de timing. Mais, à l’évidence, la bonne échéance n’est pas celle du mois de juin, juste avant les deux mois creux de l’été. Quand 22% des patrons disent envisager de licencier, quand 30% de faillites de TPE sont à prévoir d’ici la fin de l’année, il paraît aberrant de torpiller le dispositif en faisant un trou dans la coque au beau milieu de la traversée.
Tout aussi aberrante est l’absence de contreparties demandées par les pouvoirs publics aux entreprises qui bénéficient d’un soutien de l’Etat. Elles sont pourtant nombreuses à annoncer des plans de réduction de coûts ou de licenciements, qui coûteront cher aux finances publiques : Engie, Altice, Castorama, Renault, Novares, Airbus, Air France-KLM… Prenons Renault, où 3.600 emplois sont menacés par la fermeture de 4 sites en France, alors que l’entreprise va recevoir un prêt de l’Etat de 5 milliards d’euros. Certes, le groupe accepte de ne pas verser de dividendes (cette année) à ses actionnaires. Mais pourquoi l’Etat n’a-t-il pas exigé la relocalisation de certaines activités, ou un virage décisif vers le véhicule propre ?
Prenons Air France-KLM, qui a réalisé l’an dernier 27 milliards d’euros de chiffre d’affaires et qui peut prétendre à un prêt garanti par l’Etat de 25% du total, soit 7 milliards d’euros. Sauf que la compagnie en demande davantage : entre 9 et 11 milliards d’euros. Certes, l’Etat ne donnera pas de leçons sur la gestion d’une compagnie aérienne. Mais il doit exiger une transformation accélérée d’Air France vers une compagnie low carbon exemplaire. A fortiori quand la compagnie annonce, elle aussi, un plan de départs volontaires ! Soyons clairs : chez Air France ou Renault, l’entreprise survivra. Mais le sauvetage des emplois n’aura pas lieu.
A l’heure de la « raison d’être » des entreprises, cette crise s’annonce déjà comme un révélateur de la sincérité de leurs dirigeants. A ce titre, les patrons d’Orange, Accor ou Véolia sont parfois cités en exemple ces derniers jours. Le PDG de Danone, Emmanuel Faber, disait aussi la semaine dernière que « l’économie de marché telle que nous la pratiquons ne pourra pas être durable si elle n’est pas une économie sociale de marché ». Mais, en réalité, trop rares encore sont les dirigeants d’entreprises qui font preuve d’un véritable leadership clairvoyant en la matière, en phase avec leur temps. Et les pouvoirs publics ne font rien pour les y inciter. Las.