« Quelle est votre plus grande fierté depuis la création de Mediatico ? », me demandait la semaine dernière Arnaud Fimat, co-fondateur de la coopérative Ca Me Regarde, spécialisée dans les séminaires solidaires pour entreprises. Réponse immédiate : « Elle est là, ma plus grande fierté, elle est arrivée hier par courrier, disais-je en brandissant la lettre : c’est la décision du préfet de la région Ile-de-France d’accorder à Mediatico son agrément ESUS ». Oui, chères lectrices et chers lecteurs, j’ai l’immense plaisir de vous annoncer que notre média en ligne, créé en 2013 avec l’ambition de redonner du sens à l’économie en vous parlant d’économie sociale et solidaire, est désormais agréé Entreprise Solidaire d’Utilité Sociale. C’est hyper chouette. Et ce ne fut pas une mince affaire !
Il aura fallu d’abord transformer l’entreprise Mediatico et rendre ses statuts conformesà la Loi ESS de 2014, pour devenir « entreprise de l’économie sociale et solidaire » et « entreprise solidaire de presse d’information ». Puis se convaincre soi-même qu’un média peut être solidaire sans pour autant rendre directement service aux exclus ou créer des emplois d’insertion. Il aura fallu remplir un dossier administratif aux cases décidément bien trop petites, qui orientait d’emblée notre dossier dans le mur. Enfin, oser un recours administratif gracieux, une lettre de pas moins de trois pages, arguments concrets à l’appui, pour inviter l’administration à revenir sur son refus initial. Ouf, pari gagné.
Il est vrai qu’en matière de modèle économique, rien ne semblait distinguer Mediatico d’autres producteurs de contenu : notre média vend des vidéos, des podcasts, des formations ou des animations d’évènements… à des clients. Mais pour quoi faire ? S’arrêter là eût été oublier un peu vite que ces activités financent une ligne éditoriale engagée, une raison d’être dès l’origine, une volonté profonde de soutenir le développement de l’économie sociale et solidaire dans le paysage de l’économie française. Quel bonheur de lire notamment que notre « média indépendant », en interviewant les entrepreneurs sociaux, en filmant l’insertion dans l’emploi, en réalisant gratuitement des reportages qui les mettent en valeur, « apporte une reconnaissance et une crédibilité à tous les acteurs de l’ESS ».
Pour autant, tous les médias pourraient-ils prétendre à l’agrément ESUS, considérant qu’ils contribuent aussi à valoriser leur communauté avec des interviews et des reportages ? Certainement pas, la reconnaissance accordée à Mediatico en est d’autant plus précieuse. La Loi ESS et l’agrément ESUS entendent en effet développer un écosystème d’entreprises solidaires, encadrent l’échelle des salaires et la redistribution des bénéfices, imposent d’inclure une utilité sociale dans les statuts et soulignent que celle-ci doit réduire la rentabilité de l’entreprise… Rien de tout cela dans les médias appartenant à de grands groupes industriels ou financiers, instruments d’influence de patrons d’entreprises a fortiori cotées en bourse. C’est différent du côté des médias indépendants : le journal de débats Le Drenche a par exemple obtenu lui aussi son agrément, ainsi que plusieurs radios associatives locales en France.
A quoi tout cela sert-il, au fond ? Essentiellement, à deux choses. La première est d’ordre symbolique : appartenir officiellement à l’écosystème pour lequel Mediatico se bat depuis sa création. A nos yeux, ce point est essentiel. Le seconde est d’ordre financier : accéder à des financements, publics ou privés, expressément réservés aux détenteurs de cet agrément. Ainsi, le journal Le Drenche dont nous parlions ci-dessus ouvre actuellement son capital pour financer son développement. Sur la plateforme Lita.co, il recherche 150.000 euros et propose à ses futurs investisseurs de défiscaliser 50% du montant investi. Un jour peut-être, Mediatico franchira à son tour le pas de l’ouverture du capital, dans des conditions tout aussi favorables. En attendant, nous ne saurions que trop vous inviter à nous soutenir au travers d’un don… ou en vous abonnant !
In fine, que penser de la difficulté de décrocher cet agrément ESUS ? C’est heureux et dommage à la fois. C’est heureux d’abord, car que penser d’un agrément ou d’un label que chacun pourrait obtenir sans effort ? Sa crédibilité en serait bien émoussée. Mais il est aussi tellement dommage de voir tous ces acteurs de l’innovation sociale, tous ces défricheurs, tous ces pionniers du monde de demain, porter des projets innovants et aux modèles économiques encore mal établis, ne jamais rentrer dans les cases de l’administration. Renoncements, refus de subvention, faillites personnelles sont souvent le prix à payer pour la frilosité des uns ou les œillères des autres. Soyons clairs : assurément, pour transformer le monde, l’innovation sociale a besoin de l’audace des pouvoirs publics. Merci à ceux qui osent !