Lunaire. C’est ainsi que les témoins décrivent la scène. Mardi 20 mai, au cinéma Max Linder à Paris, Claire Nouvian, fondatrice de l’ONG BLOOM, a vécu un moment qui glace d’effroi. Venue présenter, devant un public nombreux, les dernières révélations de son équipe sur les « Big Five » – cinq géants néerlandais de la pêche industrielle accusés de vider la Manche au détriment des petits pêcheurs français – elle a été la cible d’une tentative d’intimidation inédite.
En pleine table ronde, une enceinte dissimulée dans la salle, déclenchée à distance par un téléphone portable, a diffusé à deux reprises une chanson générée par intelligence artificielle : « Claire Nouvian, elle ment ». Voix robotique, refrain injurieux, climat délétère.
Autour de Claire Nouvian, des intervenants de haut vol : le biologiste et océanographe de renommée mondiale Daniel Pauly, le journaliste néerlandais Bram Logger, et le vidéaste Charles Villa, dont le film-enquête Omerta venait d’être projeté. Tous ont été interrompus, stupéfaits. Le public, médusé. Le modérateur tente de dédramatiser en plaisantant sur un flash mob. Dans la salle, personne ne rit.
Claire Nouvian garde la tête froide. Tremblante mais debout, elle révèle à la salle que cette bande-son n’est pas un acte isolé, mais l’écho d’une campagne de harcèlement organisée. Depuis plusieurs semaines, son ONG et elle-même font face à des attaques coordonnées : messages haineux, campagnes de dénigrement, intimidations numériques. En avril, BLOOM a été la cible d’un groupe WhatsApp intitulé BLOOM Bashing, rassemblant jusqu’à 600 personnes. Objectif affiché : saboter la réputation de l’association. Parmi les participants, des élus, dont la députée RN France Jamet, qui accuse BLOOM d’être une ONG « éco-fanatique ».
La fabrique du doute, version 2025
Ces méthodes sont connues : ne jamais répondre sur le fond, créer le doute systématique, attaquer la personne plutôt que les faits. Et surtout, éviter tout débat public contradictoire. Claire Nouvian a invité, en direct, l’auteur anonyme de cette action à venir s’exprimer sur scène. Personne ne s’est levé.
Ce que BLOOM expose dans ses enquêtes, ce sont des faits. Des faits documentés, chiffrés, recoupés : pillage des ressources halieutiques par des multinationales, techniques de pêche destructrices, pêche illégale dans des zones protégées, lobbying massif auprès des institutions européennes. L’enquête Omerta, signée Charles Villa, met en lumière un système d’une violence froide : achat de quotas, destruction de la biodiversité, asphyxie de la pêche artisanale, et silence complice des autorités.
Face à cela, l’arsenal de ceux qui veulent faire taire est de plus en plus sophistiqué. Ce n’est plus seulement l’insulte ou la diffamation : c’est la chanson générée par IA, c’est le cyberharcèlement en meute, c’est la tentative de provoquer le malaise, la peur, voire la paranoïa. Claire Nouvian le disait hier matin sur LinkedIn : « C’est la violence de trop, celle qui installe un climat de terreur permanente » (lire l’appel de Claire Nouvian, suite à cette manoeuvre d’intimidation).
Protéger celles et ceux qui alertent
Ce qu’il s’est passé mardi dernier n’est pas un incident. C’est le symptôme d’un recul démocratique. Un signal inquiétant dans un contexte où les militantes et militants écologistes, les journalistes indépendants, les scientifiques engagés sont de plus en plus ciblés. Ces actes ne visent pas seulement des individus : ils visent à dissuader toute prise de parole construite et réfléchie.
En France, les mécanismes de protection des lanceurs d’alerte existent, mais ils restent insuffisants face à la sophistication croissante des attaques. Le cas de BLOOM illustre la nécessité de renforcer les dispositifs d’accompagnement, de défense juridique, mais aussi de soutien psychologique. Il montre à quel point le harcèlement en ligne, même s’il n’est pas (pas encore ?) physique, peut avoir des conséquences graves sur le débat public.
Hier soir, malgré l’agression symbolique, malgré la tension palpable, Claire Nouvian a terminé sa prise de parole sur une note déterminée. Un moment d’un courage rare. Un rappel que face à la pression, la meilleure réponse reste la lumière des faits, la rigueur des enquêtes, la force du collectif.
Et que face à la peur, il y a toujours la possibilité de répondre par la solidarité. Ils ont tenté de faire taire une voix. Nous devons être des milliers à la faire résonner.
En savoir plus sur l’association BLOOM : https://bloomassociation.org/


