L’automobile, l’eau, le bois, l’aéronautique, la santé… En l’espace de 10 ans, les « contrats de filière » sont devenus des outils clés du paysage économique français : ils permettent à l’État de développer certains secteurs d’activité économique qu’il juge essentiels, en général au regard du nombre d’emplois concernés. Ainsi, pas moins de 19 filières bénéficient de ce type de contrat (voir la liste). L’économie sociale et solidaire sera-t-elle bientôt la 20e ? Rien n’est joué. Mais tout est possible.
La ministre Olivia Grégoire a en effet avancé prudemment cette hypothèse mi-novembre, en présentant sa feuille de route pour l’ESS. Petite surprise, à dire vrai. Car, si certains acteurs demandaient ces derniers mois à réécrire la loi de 2014 sur l’ESS pour la rendre plus radicale à l’occasion de ses 10 ans, les grandes familles de l’ESS ont unanimement répondu que l’heure était plutôt à donner à cette loi les moyens de ses ambitions, autrement dit à obtenir de l’Etat des crédits budgétaires pérennes pour développer le secteur de l’ESS. Et voilà donc ESS France qui sollicite en leur nom collectif une loi de programmation budgétaire pluriannuelle.
Mais la ministre avait une autre idée en tête. Installée à Bercy, Olivia Grégoire a probablement anticipé sa prochaine négociation avec Bruno Le Maire, sans doute perdue d’avance compte tenu de l’équation budgétaire de plus en plus tendue pour l’Etat. Elle a donc préféré suggérer une parade aux acteurs de l’ESS, en l’occurrence l’idée d’un « contrat de filière ». Sous réserve que toutes les parties prenantes soient d’accord, a-t-elle bien insisté, ce qui nécessitera force discussions. Car au fond, c’est quoi, précisément, un contrat de filière ?
Une stratégie commune pour soutenir l’emploi
En France, les contrats de filière sont nés des États généraux de l’industrie en septembre 2010. Ils sont élaborés par des comités stratégiques de filière et ils sont pilotés par le Conseil national de l’industrie, lui-même installé par la Direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services. Concrètement, un contrat de filière est un accord-cadre signé entre le gouvernement, les entreprises, les représentants des salariés et les acteurs de la recherche et de la formation… Dans un objectif : définir une stratégie commune pour soutenir la croissance, l’innovation et l’emploi, en vue de renforcer la compétitivité d’une filière industrielle.
Vous avez bien lu : « compétitivité » ; « industrielle ». Deux mots assez éloignés de l’économie sociale et solidaire, qui préfère la « coopération » à la « compétition » et qui intervient davantage dans le secteur des services que dans celui de l’industrie. Mais n’y voyez pas pour autant un combat perdu d’avance. Une terminologie juridique n’est jamais gravée dans le marbre. Elle ne fait pas non plus une stratégie politique, loin de là. Faisons confiance au sens politique d’Olivia Grégoire, à sa pugnacité et à sa préoccupation sincère pour l’économie sociale et solidaire.
Ferroviaire, automobile, eau, santé : les exemples
D’autant que le jeu en vaut la chandelle. Regardons quelques contrats de filière existants. En 2013, le contrat de filière pour l’industrie ferroviaire française, placée au 3e rang mondial, a incité le ministère des Transports à investir 400 millions d’euros dans le renouvellement des trains.
En 2018, le contrat de filière de l’automobile fixait pour objectif de multiplier par cinq les ventes de véhicules 100% électriques d’ici fin 2022, de développer les points de recharge et de créer une offre de batteries de 4e génération ainsi qu’une filière hydrogène française compétitive.
Dans le secteur de l’eau, le contrat de filière se concentre sur la préservation de la ressource, sa gestion durable et la modernisation des infrastructures. Dans la santé, le contrat de filière soutient la recherche médicale et le développement de nouvelles thérapies.
Les PTCE en première ligne ?
Dans l’économie sociale et solidaire aussi, un contrat de filière permettrait d’obtenir des financements, de développer les synergies et de structurer à partir des territoires une filière nationale. De-là à y voir comme maîtres d’oeuvre les Pôles Territoriaux de Coopération Économique (PTCE), qui sont « nos pôles de compétitivité à nous », disait récemment Olivia Grégoire, il n’y a qu’un pas.
Un chemin se dessine, qui pourrait faire de l’ESS le levier stratégique d’une France prête à relever les défis économiques, sociaux et environnementaux de demain. Alors, seulement, l’ESS aura démontré sa capacité transformatrice du reste de l’économie.
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