Le rapport de la Cour des Comptes sur l’ESS publié mercredi dernier a incité le journal « Le Monde » à pointer « l’échec de la Loi Hamon » à faire changer d’échelle l’économie sociale et solidaire. Un constat que les acteurs de l’ESS partagent, y compris Benoît Hamon qui voit dans ce rapport une « opportunité historique » pour aller plus loin ! Explications.
« Rarement un rapport de la Cour des Comptes aura été autant encensé ». En clôturant la soirée de rentrée d’ESS France, hier soir, Benoit Hamon était particulièrement souriant. L’article, pourtant, en a pris beaucoup par surprise : « Menaces sur l’économie sociale et solidaire, la loi Hamon a échoué à faire changer d’échelle ce secteur », titrait jeudi dernier le journal Le Monde. Comment cela ? Benoît Hamon pourrait-il donc échouer ?
La blague serait plaisante, si l’article ne mettait pas le doigt précisément là où ça fait mal. Les restrictions budgétaires. Les suppressions d’emploi. Les faillites d’entreprises de l’ESS. Et ces modèles économiques qui ne tiennent plus, au point d’appeler à une mobilisation associative nationale le 11 octobre prochain. Assurément, Le Monde a vu juste. Et la Cour des Comptes aussi.
Portée à l’époque par le ministre Benoît Hamon, la Loi ESS de 2014 avait permis de poser un cadre unifié pour le secteur, englobant associations, fondations, mutuelles, coopératives et certaines sociétés commerciales à finalité sociale. La loi voulait contribuer à la structuration du secteur dans sa diversité, à sa visibilité, à son accès facilité aux marchés publics et, par conséquent, à son développement tant en termes d’emploi que d’utilité sociale territoriale.
Mais, dix ans plus tard, la visibilité de l’ESS et la mesure de son impact restent limitées, épingle la Cour des Comptes, dans un rapport inédit sur les soutiens financiers publics à l’ESS qui couvre la période 2018-2024. La part de l’ESS dans l’emploi salarié est stable depuis 2018 à 10,6%, tandis que son influence sur la production de richesses ne fait l’objet d’aucun suivi statistique régulier, empêchant toute mesure de son impact économique, social ou environnemental.
Une stratégie nationale pour l’ESS inexistante
Selon la Cour des Comptes, l’État a versé 16 milliards d’euros à l’ESS en 2024, principalement sous forme de subventions à des associations employeuses. En parallèle, les collectivités territoriales ont mobilisé 6,7 milliards d’euros, selon les chiffres de 2023. Ces financements soutiennent des missions sociales essentielles pour l’État : hébergement d’urgence, accompagnement éducatif et social, intégration des réfugiés… Mais la Cour souligne que le pilotage de la politique ESS est instable, que la coordination entre l’État et les collectivités est insuffisante, en un mot que la stratégie nationale globale pour le développement de l’ESS est inexistante.
Pour remédier à cette absence de pilotage stratégique, la Cour des Comptes formule quatre orientations et dix recommandations, parmi lesquelles : stabiliser le pilotage de la politique ESS, co-construire la stratégie nationale avec les collectivités, mieux mesurer l’impact économique et social via un compte satellite Insee d’ici 2027 [promis à maintes reprises, NDLR], et lever les freins aux financements. Ces mesures sont cruciales alors que la France doit soumettre d’ici à la fin de l’année une stratégie nationale ESS à la Commission européenne, dans le prolongement du Forum mondial de l’ESS, le GSEF, qui se tiendra à Bordeaux en octobre 2025, et dont Mediatico est partenaire.
ESS France argumente : l’ESS est sous-financée
L’association ESS France, qui porte le plaidoyer national de l’économie sociale et solidaire et qui est aujourd’hui présidée par Benoît Hamon, a publié une réponse très officielle au rapport de la Cour des Comptes. Elle y salue un « travail indispensable », partage le constat de l’absence de pilotage stratégique, et compte en faire un point de départ pour une politique publique plus cohérente et ambitieuse.
Car voilà les arguments d’un Benoît Hamon, à la fois fin politique et adepte du judo : « Le rapport de la Cour a le mérite de poser enfin des chiffres », affirmait-il hier soir, « il nous apprend que l’ESS représente 13,7% de l’emploi privé, mais ne reçoit que 7% des aides de l’État versées aux entreprises », que le Sénat a évaluées à 211 milliards d’euros le mois dernier. Le paradoxe est frappant. D’autant que seules 4% des entreprises de l’ESS bénéficient de subventions directes. Loin d’être sur-subventionnée, l’ESS est en réalité sous-dotée au regard de son poids économique et de sa contribution à l’intérêt général !
Par ailleurs, ESS France rappelle que toutes les aides publiques versées à l’ESS sont systématiquement conditionnées à des résultats tangibles en termes de service à la société. Ce que la Cour n’a pas pleinement intégré à son analyse. Et ce à quoi les entreprises classiques ne sont pas soumises lorsqu’elles perçoivent des subventions.
Les autres réactions dans les réseaux de l’ESS
ESS France n’a pas été la seule à réagir : le réseau d’insertion Coorace met en avant la reconnaissance des PTCE (Pôles territoriaux de coopération économique) comme catalyseurs d’innovation sociale et souligne le rôle pionnier de l’ESS en économie circulaire et réemploi solidaire. Mais l’organisation partage l’urgence de renforcer les discussions interministérielles et d’adapter les financements aux besoins réels des acteurs, dont beaucoup sont en difficulté financière.
FAIR – Label Finansol relève que, malgré une hausse des financements publics à près de 16 milliards d’euros en 2024, le pilotage reste instable et l’impact sous-mesuré. L’organisation appelle notamment à renforcer les financements privés vers l’ESS, à élargir l’adoption du label ESUS et à simplifier les dispositifs de contrats à impact, tout en saluant l’avancée sur la reconnaissance comptable des titres participatifs par Bpifrance.
Pour le syndicat d’employeurs UDES, le rapport est utile et la création d’un compte satellite ESS, demandé de longue date, apparaît comme indispensable pour mesurer enfin la contribution réelle à l’économie française des 200.000 employeurs et des 2,7 millions de salariés de l’ESS. Mais le rapport présente aussi des lacune, en particulier sur la commande publique, levier stratégique très peu exploité, et sur la réforme de la taxe sur les salaires qui frappe uniquement les employeurs de l’ESS.
Une opportunité historique, selon Benoît Hamon
Pour ESS France, ce rapport constitue donc une opportunité historique. Il permet de démontrer que l’ESS n’est pas seulement un acteur économique, mais aussi un partenaire stratégique de l’État et de la société civile, avec une capacité unique à co-produire des solutions pour l’intérêt général.
Il est aussi l’occasion de rappeler que l’écosystème de soutien à l’ESS est mal financé et trop peu lisible. La loi prévoit que les Chambres Régionales de l’ESS (CRESS) doivent assurer la coordination et l’accompagnement des acteurs de leur territoire, mais l’État ne leur donne pas les moyens suffisants pour jouer pleinement leur rôle. ESS France plaide donc pour un financement socle stable, garantissant une présence territoriale et une information qualifiée pour toutes les structures ESS.
L’ESS n’est pas un secteur assisté, mais une force entrepreneuriale et sociale essentielle qui fait chaque jour sa part… voire beaucoup plus ! La balle est donc une fois encore dans le camp des pouvoirs publics. À l’heure où se forme le nouveau gouvernement Lecornu, et à six mois des élections municipales, il leur revient de transformer ces constats en mesures concrètes. Pour que l’ESS puisse jouer pleinement son rôle d’économie d’intérêt général, d’innovation sociale et de moteur de résilience territoriale.