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La finance solidaire progresse, mais reste marginale dans l’épargne des Français

Elle voudrait devenir “mainstream », elle reste pourtant une niche. La finance solidaire progresse lentement, mais elle ne parvient toujours pas à passer à la vitesse supérieure et à déteindre sur la finance tout court. Et pourtant, à l’heure où la situation sociale se crispe partout, où l’intérêt des critères environnementaux est remis en cause, et où même le financement des armes retrouve une légitimité dans les débats ESG des financiers, la finance solidaire trace sa route gentiment, portée par un engagement citoyen fort.

Selon les derniers chiffres de FAIR Finansol, les encours de la finance solidaire ont progressé de 7% en 2024, pour atteindre 29 milliards d’euros. C’est une somme, certes ! Qui va financer des projets d’utilité sociale ou de transition écologique sur bien des territoires. Mais c’est une goutte d’eau : ces 29 milliards d’euros représentent moins de 0,5% des quelque 6.350 Md€ d’épargne financière des Français (dont 440 milliards sur le seul Livret A) !

Trois grands canaux de progression

La finance solidaire progresse sur ses trois principaux canaux de collecte : 

  • L’épargne salariale solidaire, avec 16 Md€ (+6%), reste le moteur principal.
  • L’épargne bancaire solidaire grimpe à 12 Md€ (+8%), grâce aux livrets et à l’assurance-vie solidaire.
  • L’actionnariat solidaire, plus modeste, atteint 1,2 Md€ (+10%), soutenu par Habitat & Humanisme, Terre de Liens ou 3 Colonnes.

« La finance solidaire répond à une attente bien réelle, mais le passage à l’échelle reste un défi », observe Nicolas Mottis, président du Conseil scientifique de FAIR. Les freins sont connus : déficit de culture financière, manque de pédagogie, formation insuffisante des conseillers bancaires… Dans une société rigide, les comportements sont plus propices à la protection de son argent qu’aux tentatives d’innovation.

L’épargne de partage a le vent en poupe

Pour autant, les Français sont prêts à prendre des risques maîtrisés : les dons issus des produits de partage, qui consistent à donner une partie de ses gains en fin d’année à une association, continuent de s’envoler : +75 % en 2024, après +80 % en 2023. C’est la preuve de la vitalité de la dimension philanthropique de ces comptes ou livrets de partage.

En 2024, les dons se concentrent principalement autour de trois grandes thématiques : 

  • la solidarité de proximité (lutte contre la précarité, accès au logement, exclusion sociale), 
  • l’aide humanitaire internationale (urgence, santé, alimentation),
  • la protection des populations vulnérables (enfants, personnes malades).

« Ces orientations traduisent les préoccupations majeures des épargnants, dans un contexte marqué par des tensions économiques et sociales, une crise environnementale qui s’intensifie ainsi qu’une instabilité géopolitique croissante », indique FAIR.

Des leviers encore sous-utilisés

Pour Marie-Anne Barbat-Layani, présidente de l’AMF, la France dispose d’un écosystème unique en Europe, notamment grâce à l’intégration obligatoire de fonds solidaires dans l’épargne salariale. Mais elle insiste : « 69 % des Français estiment important que leur conseiller financier leur propose ce type de placements. Les labels, fiables et contrôlés, jouent un rôle crucial pour instaurer la confiance. » Or, les conseillers financiers ne sont pas tous convaincus ni bien formés, loin de là.

Pourtant, l’intérêt citoyen existe. Selon l’AMF, 65 % des Français connaissent les placements solidaires, davantage que l’ISR, ou Investissement socialement responsable (48%). Et parmi ceux qui envisagent d’investir durable, 26 % choisiraient une thématique sociale ou solidaire.

Une trajectoire de long terme

En parallèle, les entreprises solidaires d’utilité sociale (ESUS) peinent encore à mobiliser l’épargne directe, malgré des dispositifs fiscaux attractifs. Leur meilleure visibilité pourrait renforcer l’essor d’un investissement à impact social et environnemental tangible.

Si le noyau des « militants solidaires » continue de tirer le mouvement, il ne suffit plus à garantir un changement d’échelle. La clé réside désormais dans une massification de l’offre et de la pédagogie, afin que la finance solidaire devienne un réflexe d’épargne, et non un acte d’initié.

« La finance solidaire n’est pas une mode, conclut Mottis. C’est une tendance de fond. Sa croissance régulière et sa capacité à financer des projets sociaux et environnementaux concrets en font une force structurante dans l’épargne française. L’enjeu, désormais, est d’en faire bénéficier le plus grand nombre. »

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