« Cela a été terrible« , confie d’entrée de jeu Arnaud Fimat. Avec le confinement intervenu mi-mars, la jauge autorisée pour les regroupements collectifs est tombée en un éclair à vingt personnes, puis à dix. Très vite, les coups de téléphone ont fusé pour reporter, puis pour annuler ces séminaires d’entreprises un peu spéciaux, dont beaucoup sont programmés avant l’été. Une catastrophe économique : 40% du chiffre d’affaires de la coopérative Ca Me Regarde, estimé à 500.000 euros par an, vient de partir en fumée.
Ca Me Regarde s’est fait une spécialité des « séminaires solidaires ». Fondée en 2009 par Ségolène Delahalle et Arnaud Fimat, constituée aujourd’hui de 10 collaborateurs, cette coopérative embarque les salariés de grandes entreprises dans des associations de solidarité, le temps d’une journée. Objectif : résoudre les problématiques de managers en mal de cohésion d’équipe. Ainsi, en immersion chez Emmaüs ou dans une école de la deuxième chance, chez les Petits Frères des Pauvres ou dans un centre d’hébergement d’urgence, les salariés de l’entreprise vont apporter leur aide à des publics dans le besoin… et apprendre beaucoup en retour.
Tout cela redonne des ailes… mais comment je paie mes charges fixes ?
Pour l’entreprise, l’intérêt est double. D’une part, relever le défi de repeindre des locaux avant le retour des résidents à 17h permet de se fixer des objectifs tangibles et immédiats, sans pérorer sur des objectifs à 2 ans qui seront revus vingt fois. D’autre part, l’entreprise offre à ses collaborateurs des possibilités de rencontres improbables, qui ouvrent sur autrui et sur des ailleurs différents. « Certains veulent à tout prix aider un jeune en insertion, raconte par exemple Arnaud Fimat, quand ils finissent par se rendre compte que ce jeune a traversé l’Europe a pied, qu’il a une vie ailleurs : voilà qui remet tout en question« . Il en ressort des repositionnements personnels, de l’énergie collective et « tout cela redonne des ailes« , sourit-il.
Puis tout s’est arrêté. « De grands clients nous disent qu’ils reviendront peut-être en 2021« , regrette Arnaud Fimat. Il comprend : les entreprises vont d’abord vouloir rattraper leur retard d’activité, ce n’est qu’ensuite qu’elles chercheront à partager du temps ensemble. « Mais, en attendant, comment je paie mes charges fixes ?« , interroge-t-il. Quant au dispositif du chômage partiel, il aide énormément : les aides de l’Etat sont versées le 20 du mois, avant même le paiement des salaires, témoigne-t-il. Mais c’est encore insuffisant. D’autant que le chômage partiel va se restreindre. En attendant, les charges fixes reviennent chaque mois, inlassablement.
La question de la survie de la structure est posée
« Nous sommes en danger de mort, alors que nous avons une marque installée depuis longtemps. Nous avions un carnet de commande complètement plein. Pourtant, aujourd’hui, la question de la survie de la structure est posée. On peut encore imaginer sauver les murs, mais certainement pas les 10 collaborateurs« . Il faudrait déjà faire renaître la demande pour des rencontres collectives, alors même que chacun se méfie de ses voisins par peur du coronavirus. La mission semble impossible.
Pour l’avenir, trois pistes sont en cours de réflexion. Créer des rencontres collectives digitales, comme le leur demandent Accenture ou BNP Paribas Leasing Solutions. Mais deux clients ne font pas un chiffre d’affaires annuel. Ou bien repartir à zéro, reconstituer un Ca Me Regarde au format très allégé, recentré exclusivement autour de ses deux co-fondateurs. Cela signifie presque repartir dix ans en arrière.
Enfin, l’association « Un Début de Réseau » fait ses premiers pas. Née du projet de Ca Me Regarde, elle veut se faire rencontrer les jeunes et les professionnels en entreprise, en s’appuyant sur le numérique et les rencontres physiques. Souhaitons-lui bonne chance. Pourquoi une association ? Pour aller chercher des subventions, bien sûr. En contrepartie de l’utilité sociale dont l’équipe de Ca Me Regarde a déjà su faire preuve pendant dix ans.