C’est un petit chiffre de rien du tout qui a subitement accaparé mon esprit la semaine dernière. Un tout petit 7%, noyé dans le colossal travail de recherche présenté par Viviane Tchernonog et Lionel Prouteau. La chercheure au CNRS et au Centre d’économie de la Sorbonne, ainsi que son acolyte docteur en économie et maître de conférences émérite à l’Université de Nantes, faisaient état de leurs derniers travaux lors d’un colloque intitulé : « Le paysage associatif français : 20 ans d’observation ». Rien que ça ! Et éclairant, à plus d’un titre.
Très vite, est abordé le financement de nos associations, en plein chambardement. De 2005 à 2020, les tendances sont clairement marquées. Elles se trouvent d’ailleurs confirmées à chaque point d’étape des études intermédiaires de 2011 et 2017. Ainsi, les dons et le mécénat, cumulés, restent stables à 5% sur l’ensemble de la période. Mais les subventions publiques reculent indéfectiblement : de 2005 à 2020, elles sont passées de 34% à 20% du budget associatif, soit une baisse de 14 points.
Heureusement, les « recettes d’activités » associatives compensent le manque à gagner : elles sont passées de 49% en 2005 à désormais 65% du budget des associations. D’aucuns parleront de maturité du modèle économique de nos associations. Pour autant, il n’est pas possible de dire que la baisse des subventions publiques est compensée par des recettes privées.
Les associations, moins libres qu’hier et plus fragiles
En effet, le terme « recettes d’activités » recouvre à la fois les ventes aux usagers d’une part, en légère hausse de 32% à 36%, et la commande publique d’autre part, qui grimpe beaucoup plus vite en passant de 17% à 29%. L’analyse de nos chercheurs est claire : la commande publique remplace de plus en plus les subventions. En d’autres termes, nos associations sont moins libres qu’hier, car de plus en plus soumises aux appels à projets et aux appels d’offres, qui répondent à des stratégies politiques.
Par ailleurs, si les ventes aux usagers progressent, c’est moins du fait de la hausse des volumes de ventes ou de la taille du gâteau, que des augmentations tarifaires devenues incontournables et qui excluent désormais certains usagers au pouvoir d’achat limité. En vingt ans, la transformation du paysage associatif français se traduit donc, à double titre, par une fragilisation des projets associatifs autonomes, réalisés « par et pour les habitants ». Voilà qui interroge.
Cela interroge d’autant plus que les cotisations reculent : revoilà mon fameux 7%. Entre 2005 et 2020, nous dit Viviane Tchernonog, les cotisations sont en effet tombées de 12% à 7% dans le budget des associations. Oui, les cotisations versées par les adhérents ont presque reculé de moitié ! Assurément, 2020 était la première année du Covid, celle des associations fermées en début d’année. La chute peut donc être relativisée. Mais en 2017, la part des cotisations n’était déjà que de 9%, soit un quart de moins qu’en 2005. Où sont passés les adhérents ? Je vois là une inquiétante tendance de fond.
La cotisation, symbole de l’adhésion au projet collectif
Mais quel symbole représente exactement le versement d’une cotisation ? Est-ce simplement une contribution forfaitaire qui sert à équilibrer le budget d’une association ? Ou bien un droit d’entrée, qui permet d’intégrer un club de gens sympathiques ? Ou la redevance qui donne droit en retour à l’indispensable licence sportive du club de foot de mes enfants ? Ou encore le sésame qui confère une réduction substantielle lors du passage en caisse ? Loin de tout cela, malheureux !
Rappelons que la cotisation est un acte d’engagement. C’est l’acte financier qui marque « l’adhésion » à un projet associatif. Et l’étymologie du verbe « adhérer » nous dit que l’adhésion est avant tout un « attachement ». Ainsi donc, la personne qui adhère se sent liée, attachée, à un projet associatif, défendu collectivement, qu’elle accepte de rejoindre volontairement. Sa cotisation est la concrétisation de cet engagement, une signature en quelque sorte.
Mais pourquoi donc les cotisations et les adhésions reculent-elles depuis 2005 ? Les Français se sentent-ils moins attachés à leurs associations et aux projets qu’elles défendent ? Et le recul des cotisations n’est-il pas le corollaire d’un autre désengagement qui percute déjà bien des associations, à savoir la désaffection des bénévoles depuis la période du Covid ?
Revendiquer le fait associatif, défendre la démocratie
Claire Thoury rappelle la fonction démocratique des associations. Présidente du Mouvement Associatif, elle affirme en clôture du colloque que « adhérer, ce n’est pas consommer ». Que l’association donne le pouvoir d’agir, incarne la résistance aux tensions, apporte des réponses sur des territoires difficiles au travers d’un modèle non-lucratif accessible à tous. Elle ajoute que l’association permet de se construire, de rencontrer l’autre, de se confronter. Et finalement de faire des compromis, parce que l’on a un but commun. Les associations sont donc essentielles au plan personnel, collectif et sociétal. Elles sont un maillon indispensable à la démocratie.
Les chiffres ne sont pas rassurants, nous devons défendre ce modèle associatif hérité de 120 ans de progrès démocratique et social. Nous devons re-susciter l’adhésion. Résister aux coups de boutoir contre les corps intermédiaires. Faire oeuvre de pédagogie. Expliquer et revendiquer. Lors du Forum national de l’ESS, à Niort, le président d’ESS France, Jérôme Saddier, disait fin janvier que les acteurs de terrain devaient revendiquer leur appartenance à l’économie sociale et solidaire pour mieux la faire connaître. C’est vrai aussi du modèle associatif.
Alors que trois candidats briguent la présidence d’ESS France, l’avenir du modèle associatif et celui de l’économie sociale et solidaire toute entière méritent d’être questionnés, pour les déployer davantage. C’est justement pourquoi nous avons invités ces trois candidats sur le plateau de Mediatico : Stéphane Junique, Damien Baldin et Benoît Hamon y expriment leur vision des enjeux-clés pour l’ESS en général, et pour le monde associatif en particulier. Trois interviews à découvrir ici, juste avant l’élection qui aura lieu chez ESS France le 10 avril prochain :