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Jamais depuis longtemps je n’avais revu autant de petites mains jaunes. « Touche pas à mon pote » sur les autocollants, sur les badges, sur les fanions, sur les cartons… c’était il y a près de quarante ans !? Non, c’était samedi, dans les manifestations de plusieurs dizaines de villes françaises, un vieux slogan redevenu subitement d’actualité, brandi par la jeunesse d’aujourd’hui, dont certains voudraient faire croire qu’elle ne s’engage plus comme avant, mais qui danse et qui scande plus fort que jamais, sur les rythmes de Zebda ou sur l’air des Béruriers Noirs : « La jeu-nesse em-merde le-Front-national » . 

À quinze jours du 1er tour de ces élections législatives inattendues, les appels, les tribunes et les résolutions n’en finissent plus. Celle d’ESS France d’abord, votée à l’unanimité en marge du Congrès de l’ESS la semaine dernière (lire ici), déjà relayée dans les CRESS régionales. Celle du Mouvement Associatif ensuite, qui invite 800.000 associations qu’elle représente en France à signer à leur tour (lire ici). 

Sans oublier, l’appel commun relayé par la Ligue des Droits de l’Homme, qui pointe du doigt la liberté piétinée par Trump, Poutine, Orban, Milei, Meloni… (lire ici). Oui, la société civile se mobilise pour empêcher l’extrême droite de gagner, d’être en force à l’Assemblée, d’entrer à Matignon. Cela vaut dans tous les secteurs : sport, culture, information, éducation populaire, insertion, régies de quartier, tiers lieux…

Le sport et ses valeurs

C’est d’abord par le sport que le message se répand le plus vite. Kilian Mbappé vient d’appeler « tous les jeunes à aller voter ». A la veille de l’Euro, le capitaine de l’équipe de France argumente : « On a des valeurs de mixité, tolérance et de respect, j’espère qu’on sera encore fier de porter le maillot de l’équipe de France le 7 juillet » (lire ici). Juste avant lui, Marcus Thuram était plus clair encore : « Il faut se battre au quotidien pour que le RN ne passe pas » (lire ici). Son père avait gagné la Coupe du Monde avec Zinédine Zidane en 1998, dans une équipe qui se revendiquait fièrement Black-Blanc-Beur.

À présent, à un mois des J.O 2024, Marie-José Pérec, triple championne olympique, signe avec 200 sportifs une tribune dans L’Equipe appelant à voter « contre l’extrême droite ». A L’Obs, elle se confie (lire ici) : « Je ressens cette montée de la peur de l’autre, du rejet, alors je tiens à défendre l’idée qu’on peut vivre ensemble dans la tolérance et la bienveillance. Le sport prouve qu’on peut se rassembler et qu’on est plus forts en équipe ». Comme en écho, Yohan Penel, le président de la Fédération Française de Badminton, expliquait au Congrès de l’ESS la semaine dernière combien le sport a de valeurs communes avec l’économie sociale et solidaire.

La culture et les médias en danger

La culture s’alarme aussi. Elle sait à quel point la liberté d’esprit et de parole que s’autorisent les artistes, acteurs, chanteurs, slameurs, poètes, écrivains, journalistes, dessinateurs, cinéastes, universitaires, bibliothèques… sont des cibles de choix pour l’extrême droite. Car les mots sont un puissant pouvoir. Qui connaît l’histoire sait que les Pharaons, les Romains, la Chrétienté, les Nazis ou Daesh ont tous voulu éradiquer la culture pour imposer leur pouvoir et supprimer les libertés. Dans Libération, Ariane Mnouchkine s’interroge : « A quel moment doit-on cesser de faire du théâtre sous un gouvernement RN ? ». Sous entendu, à partir de quel moment risquons-nous de devenir des collaborateurs ? (lire ici).

Ainsi, dans la France de 2024, la culture n’est pas sereine. Depuis 2022, quatre millions d’euros ont été supprimés aux structures culturelles de la région Auvergne-Rhône-Alpes. En 2024, l’Etat a réduit de 204 millions d’euros les crédits du ministère de la Culture. Le spectacle vivant est frappé de plein fouet. L’éducation populaire aussi. Et l’information, qui dépend du ministère de la Culture, tremble à son tour : le projet de fusion entre Radio France et France Télévision n’augure rien de bon, puisque le RN envisage de privatiser l’ensemble (lire ici)… après que l’extrême droite a déjà fait une OPA sur une bonne partie du paysage médiatique.

Pour le mouvement social, la régression infernale

Les acteurs sociaux et les associations de solidarité sont dans la ligne de mire, car ils défendent les valeurs de l’entraide, de la citoyenneté et de l’humanisme. Une vision du monde radicalement différente du projet de société de l’extrême droite. Le Collectif Alerte, avec ses 35 associations membres, appelle à une mobilisation d’urgence face à « une régression sociale infernale » : il rappelle que le RN veut remettre sur le marché 620.000 logements sociaux qui seraient occupés par des « étrangers », supprimer les subventions aux associations qui soutiennent les migrants et établir un délit de solidarité (lire ici).

Dans les quartiers populaires, le Mouvement des Régies de quartier redoute plus que tout « une montée des divisions, de la stigmatisation, du chacun pour soi et encore plus de précarité » (lire ici). Il affirme la nécessité de revitaliser les territoires à partir d’activités économiques de proximité, de lien social et d’implication des habitants. 

Les tiers-lieux s’érigent en espaces de résistance. Sous l’égide de l’Association nationale des Tiers-Lieux, ils se revendiquent comme « des lieux citoyens de proximité » qui valorisent les coopérations, accueillent la parole de tous et luttent « contre les inégalités économiques et sociales que la crise climatique accentue ». Ils s’affirment « incompatibles avec les propositions anti-sociales, anti-minorités et anti-écologiques de l’extrême droite » (lire ici). Et les cafés associatifs s’engagent : le Dorothy soutient la tribune de la coordination chrétienne contre l’extrême droite (lire ici) et Le Moulin à Café prépare une soirée républicaine (lire ici).

Des destructions d’emplois à redouter

Les acteurs économiques aussi redoutent la catastrophe : dans le secteur de l’insertion par l’activité économique, sept grands réseaux représentant 4.600 structures employeuses sont sous le choc. Début juin, ils disaient redouter la disparition de « milliers d’emplois solidaires » à cause des restrictions budgétaires du gouvernement sortant (lire ici). À présent, c’est pire que tout : le RN stigmatise les précaires, dénonce l’assistanat et dit qu’il s’attaquera à la prétendue fraude sociale de ses boucs émissaires. Combien d’emplois détruits en vue ?

La Fondation Jean Jaurès s’est livrée à une analyse du programme social du RN : « En matière sociale, le RN prévoit de réserver les aides sociales aux Français (handicap, pauvreté, personnes âgées, mineurs en danger, sans-abri, etc.), tandis que la « priorité nationale » devrait s’appliquer à l’accès au logement social et à l’emploi », rappelle  Autant de mesures discriminatoires (…) À l’examen, le programme du Rassemblement national est donc plus anti-social qu’anti-système, des traits que l’on retrouve très nettement dans les pays où l’extrême droite gouverne » (lire ici).

Quand l’économie dépend de la démocratie

Ex-coprésidente du Mouvement Impact France, l’entrepreneure Eva Sadoun, influente dans la finance responsable, affirme que « la neutralité n’est pas une option » pour les milieux d’affaires (lire ici). Elle rappelle que « Hitler n’aurait pas accédé au pouvoir sans le soutien des élites économiques », que « Mussolini a pu compter sur la complicité du patronat italien en promettant toujours plus de dérégulation » et que les dirigeants d’entreprises qui déjeunent sans complexe avec les dirigeants du RN font preuve d’une « complaisance mortifère ». Alors même que « la stabilité économique dépend de la robustesse de notre démocratie ». 

Fondateur de ChangeNOW, le salon qui met en avant les entreprises écologiques et innovantes, Santiago Lefebvre dit que les 40% de Français qui ont voté à l’extrême droite ont agi « par manque d’espoir face à un monde qui bouge trop vite : crises, guerres, IA, catastrophes, amplifiées par les réseaux sociaux et les chaînes d’info en continu » (lire ici). Nous vivons selon lui « une crise de l’information et de la vérité, bref une crise de la démocratie ». Mais, iI l’affirme : « Il n’y a pas d’espoir dans la vision écologique du RN. Pas d’espoir dans la vision économique du RN. Pas d’espoir dans la vision sociétale du RN ».

Alors, le Pacte du Pouvoir de Vivre appelle chacun « à prendre sa part » dans le scrutin des 30 juin et 7 juillet prochains (lire ici), car le pire est possible pour nos démocraties, nos libertés publiques et associatives, pour le défi climatique et pour nos protections sociales. Mais « nous en faisons chaque jour l’expérience (…) une autre voie est possible pour rendre le quotidien plus juste et plus digne, pour accélérer la transition écologique sans laisser personne de côté, pour conquérir de nouveaux droits, pour renforcer le pouvoir d’agir de chaque citoyen.ne, pour préparer l’avenir ». 

Un engagement précieux, salutaire, porteur d’espoir. Allez voter !

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