Dans l’insertion, la mobilisation ne faiblit pas. Et déjà, une victoire provisoire au Sénat. Jeudi 4 décembre, 450 personnes étaient rassemblées place de l’Odéon à Paris, 300 autres à Marseille au forum du réseau Cocagne, d’autres encore à Lyon, sans compter les conférences de presse organisées dans de nombreuses régions : partout en France, les réseaux de l’insertion par l’activité économique (IAE) ont fait entendre leur inquiétude.
Salarié·es en insertion, encadrant·es, dirigeant·es associatifs, élus locaux et parlementaires se sont rassemblés pour dénoncer les coupes budgétaires prévues dans le projet de loi de finances 2026. Une mobilisation d’ampleur, transpartisane, à la hauteur de l’enjeu : l’avenir de dizaines de milliers de parcours vers l’emploi.
Le gouvernement prévoit en effet une baisse de 14 % des crédits de l’IAE en 2026, après un premier recul de 4 % en 2025. Cela représente près de 200 millions d’euros en moins par rapport aux crédits 2024, une trajectoire jugée « incompréhensible » dans un contexte de remontée du chômage et d’aggravation de la pauvreté. Car derrière les chiffres, ce sont des vies, des territoires et un modèle social qui sont en jeu.
« On ne reconstruit pas des vies en faisant des économies »
Place de l’Odéon, les prises de parole ont été unanimes. « On ne reconstruit pas des vies en faisant des économies », a lancé Sadek Bouzidi (SynamI-CFDT). Benoît Hamon, président d’ESS France, a dénoncé un « budget d’appauvrissement général », rappelant le paradoxe d’un secteur qui reçoit de l’argent en contrepartie d’une mission d’intérêt général, tandis que d’autres aides publiques sont versées sans aucune contrepartie sociale directe et ne sont jamais remises en cause.
David Horiot, président de Chantier école, a rappelé que l’IAE bénéficie depuis quarante ans d’un soutien politique transpartisan, et qu’elle se situe aujourd’hui « au croisement de plusieurs politiques publiques : emploi, social, territoires, transition écologique ». Pour la députée Stella Dupont, « l’insertion n’est pas un coût, c’est un investissement, et même un gain immédiat pour la société ».
Le Mouvement des Régies, Emmaüs France, l’UDES, le Mouvement associatif, Coorace, Envie, le Réseau national des Ressourceries et Recycleries… tous ont martelé le même message : fragiliser l’IAE, c’est fragiliser les territoires. Dans certains quartiers, les structures d’insertion sont parfois les derniers employeurs de proximité.
Trois revendications pour éviter une rupture massive des parcours
Les réseaux mobilisés portent des amendements clairs autour de trois priorités :
- 1. Revenir au niveau de postes d’insertion conventionnés par l’État en 2024 ;
- 2. Ré-abonder le Fonds de développement pour l’inclusion (FDI) à hauteur de 40 M€ ;
- 3. Soutenir durablement la formation des personnes en parcours, notamment via le Plan d’investissement dans les compétences (PIC-IAE).
L’objectif : éviter les ruptures de parcours, coûteuses humainement, socialement et financièrement, et préserver les investissements publics consentis depuis 2021. Sans quoi, alertent les réseaux, plus de 60 000 personnes seront privées d’accompagnement dès l’an prochain.
Avec, en cascade, la fermeture de chantiers d’insertion, la perte d’emplois d’encadrement, des marchés publics non honorés (espaces verts, propreté, périscolaire, ressourceries…), une hausse des prix pour les collectivités et les usagers, et au final une augmentation des dépenses sociales.
L’argument économique est lui aussi martelé : 1 euro investi dans l’IAE génère environ 3 euros de gains pour les finances publiques. Réduire les crédits serait donc, selon les acteurs, un « mauvais calcul budgétaire » autant qu’un choix social contestable.
Le Sénat corrige, mais sans lever toutes les menaces
Dernier épisode en date : lors de l’examen du budget au Sénat, les sénateurs ont atténué samedi de 139 M€ la baisse de 177 M€ initialement prévue par le gouvernement. Un signal politique fort, salué par les réseaux, mais jugé encore insuffisant. Car même corrigée, la trajectoire budgétaire entraînerait encore la suppression de plus de 3 000 postes d’insertion par rapport à 2024.
Autre sujet d’inquiétude : cet amendement a été compensé par une baisse équivalente sur le budget de la formation, notamment le PIC-IAE. Le Fonds départemental d’insertion (FDI) n’a pas été rétabli et l’extinction programmée de la Plateforme de l’inclusion, pourtant outil clé de pilotage et de mise en relation des acteurs, a été votée. À cela s’ajoute la perspective d’un gel de l’aide au poste, pourtant indexée sur le SMIC, qui fragiliserait durablement le modèle économique des structures.
Enfin, chacun sait désormais qu’une petite victoire budgétaire aujourd’hui n’est pas une promesse pour demain. L’éclatement politique, l’absence de compromis à l’Assemblée, le calendrier parlementaire trop court, la possibilité de voir le gouvernement reprendre la main au dernier moment… font que les amendements ou les avancées obtenues le week-end dernier pourraient parfaitement rester lettre morte.
Un moment politique décisif
Le débat parlementaire entre en effet à présent dans sa phase finale. Prochaine étape : la Commission mixte paritaire (CMP), chargée de trouver un compromis entre la version du Sénat (amendement à 139 M€) et celle de l’Assemblée nationale, où un amendement à 244 M€ avait été voté en commission des finances. Sans oublier un autre levier possible : la levée – ou pas – de la “réserve budgétaire” qui avait amputé de plus de 100 M€ les crédits IAE en 2025.
Mais pour simplifier, de deux choses l’une : soit le Parlement confirme la correction partielle de la trajectoire gouvernementale, au risque de laisser s’installer une baisse structurelle des moyens. Soit il envoie un signal beaucoup plus fort en faveur d’un secteur reconnu, depuis quarante ans, comme un pilier du modèle social français et de la cohésion territoriale.
En attendant l’issue de la CMP, les réseaux de l’ESS préviennent : la mobilisation ne retombe pas. Et le message reste le même, martelé de Paris à Marseille, de Lyon aux territoires ruraux : sans budget pour l’insertion, pas d’emploi durable. Et sans l’IAE, c’est un levier majeur de lutte contre le chômage que la République risque de sacrifier.


