Un rayon de soleil ce dimanche, et hop ! Revoici les tee-shirts bariolés qui égaient les poitrines des joggers : ici aux couleurs d’Harmonie Mutuelle, qui sponsorise le semi-marathon de Paris, mais aussi d’Action contre la Faim, de Sailors for the Sea ou encore… de l’Unicef ! Il suffit donc d’un brin de soleil pour que l’économie sociale et solidaire s’égaie dans nos jardins publics. Pour que les ONG s’affichent sur les épaules des Français. Pour que certains d’entre eux brandissent, au vu de tous, l’étendard de la cause qui leur tient à cœur. Et cela, malgré, ou peut-être à cause, du dernier traquenard de l’émission Cash Investigation présentée trois jours plus tôt par la journaliste de France 2, Élise Lucet.
Car cette édition de Cash Investigation a de quoi décourager toute générosité des Français. Sous le titre « Entreprises, mécénat, associations : les liaisons dangereuses », Cash accuse en effet l’Unicef France de distribuer des « savons solidaires » venant de l’entreprise de cosmétiques L’Occitane et contenant de l’huile de palme issue… du travail des enfants, en Indonésie. L’Occitane, plusieurs fois saluée pour ses engagements sociaux et environnementaux, dément. Interrogée par Novethic, elle regrette le peu d’explication sur la complexité de la filière de l’huile de palme, ses cascades de sous-traitants et les efforts qui y sont menés depuis des années.
L’Unicef France, elle, s’étrangle ! Son combat de 75 ans pour la protection des enfants du monde entier, pour la défense de leurs droits, pour leur éducation et leur épanouissement, risque d’être ruiné en deux heures d’émission télévisée. Sa présidente Adeline Hazan, qui n’ignore pas la réputation d’Élise Lucet, a accepté d’être interviewée, gage de transparence. Devant cette interview à charge, elle a ensuite demandé à revenir sur le plateau télévisé après la diffusion du documentaire, où elle a dû batailler ferme pour faire entendre sa voix et démentir les accusations. Dans un communiqué, l’Unicef France dénonce à présent le « dénigrement lié à la scénarisation de l’émission » ponctuée « d’amalgames, de mises en scène et d’accusations mensongères ».
Le label « Don en confiance » écorné
Pourtant, le mal est fait et l’onde de choc sera particulièrement forte, pour deux raisons. D’une part, parce que Cash était diffusée le 20 octobre, date fort bien choisie. Il s’agissait en effet du jour du 16e Forum national des Associations et des Fondations (FNAF), rendez-vous annuel incontournable du secteur associatif et de la philanthropie au Palais des Congrès de Paris. Comme par hasard, c’était aussi une Journée des fondations organisée par le ministère de l’Économie et par celui de l’Intérieur. Le Centre Français des Fondations, qui fête cette année ses 20 ans, y participait et rappelait pour l’occasion quelques chiffres-clés issus de sa dernière étude : les fondations consacrent chaque année 14 milliards d’euros à l’intérêt général, 91% des Français qui les connaissent en ont une bonne image, 83% les jugent utiles et 43% envisagent de leur faire un don dans l’année. Mais bien sûr, aucun don ne serait possible sans la confiance.
La déflagration porte loin également, parce que le label « Don en confiance » dont se prévalent l’Unicef France et de nombreuses ONG est très directement mis en cause. Élise Lucet soupçonne ce label d’une extrême légèreté, l’accusant d’un manque de contrôle flagrant, allant même jusqu’à invoquer le conflit d’intérêt, les prétendants au label devant payer pour l’obtenir. La question est légitime, mais l’émission ne fait aucun cas de l’histoire du label Don en Confiance créé en 1989, de son rôle majeur pour retrouver la confiance des Français après le scandale de l’ARC en 1996, ou encore de la sincérité de l’engagement des salariés et des bénévoles du Don en Confiance.
Marlène Schiappa, secrétaire d’État en charge de l’Économie sociale et solidaire et de la Vie associative, s’est elle aussi fendue d’un communiqué de presse au lendemain de la diffusion de l’émission. Elle réaffirme le soutien du gouvernement aux associations et aux fondations. Elle rappelle que l’État crée les conditions de la transparence financière, que 30.000 associations dont les plus grosses sont contrôlées par les commissaires aux comptes et que des pratiques marginales ne doivent pas freiner la générosité des Français. Elle conclut : « Ne jetons pas l’opprobre sur ceux qui donnent ce qu’ils ont de plus précieux, c’est-à-dire leur temps au service du bien commun ».
Élise Lucet, journaliste-chasseresse
Est-il l’heure de sabrer la confiance des Français et de détruire la réputation des serviteurs de l’intérêt général, à soixante jours de la fin de l’année fiscale, période privilégiée pour les dons des Français ? Les recettes des ONG et des fondations vont hélas s’en ressentir, elles qui s’engagent pour des enjeux sociaux, territoriaux, environnementaux ou climatiques, et qui compensent ce faisant bien souvent les carences de l’action publique. Sabrer la confiance des Français au nom de l’investigation journalistique, voilà qui m’interpelle.
Le comportement d’Élise Lucet l’investigatrice, oserais-je dire la journaliste-chasseresse, j’ai pu l’observer par deux fois, de mes yeux. Aux Universités de l’Économie de Demain d’une part, qui rassemble nombre d’entrepreneurs sociaux et d’entreprises engagées sur la RSE, où elle cherche les visages de dirigeants d’entreprises qu’elle soupçonne de green ou de social washing. Au Forum Convergences d’autre part, qui réunit ONG, entreprises et pouvoirs publics autour des Objectifs du développement durable de l’ONU, où je l’ai vue traquer puis fondre sur sa proie, un responsable d’entreprise peu coutumier de la communication de crise, poursuivi par la journaliste jusqu’aux toilettes d’où il n’osait plus sortir…
Cette méthode de travail journalistique me heurte, moi qui ai choisi une approche plus constructive de mon métier. Assurément, le green ou le social washing ne sont pas de mise. Assurément, il nous faut exiger la cohérence des discours avec les actes, a fortiori pour ceux qui détiennent une part de pouvoir. Mais le journalisme « de solutions » doit-il être opposé au journalisme « d’investigation » ? Le monde est sans doute plus complexe que cela.
Heureusement, une autre approche est possible, même pour Élise Lucet : lors du débat de seconde partie de soirée, Benoît Hamon nous apprend que son association Singa travaille avec Visa et Generali. L’Envol Vert nous parle de son partenaire Pierre Fabre. Allain Bougrain-Dubourg nous dit que la Ligue de Protection des Oiseaux est financée par Bouygues, Eiffage et Vinci…
Mais là, pas une seule invective d’Élise Lucet. Comme quoi, tout arrive. Alors vous aussi, lors votre prochain jogging, hissez les couleurs de vos ONG préférées !
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