Quatre ans qu’elle n’avait pas eu lieu. Quatre ans de crise sanitaire, de tensions budgétaires, de transformations profondes du secteur. Vendredi 28 novembre, à Saint-Ouen, la Conférence régionale de l’économie sociale et solidaire en Île-de-France a fait son grand retour. Un temps fort de dialogue prévu par la loi, et une reprise des échanges très attendue par plus de 300 acteurs de l’ESS, venus nombreux pour écouter la vision de l’État, de la Région, des départements et des intercommunalités, en cette période de tensions budgétaires et politiques autour de l’ESS. Mediatico animait la table ronde centrale de l’après-midi.
La vice-présidente de la Région en charge de l’économie sociale et solidaire et des achats responsables, Sylvie Mariaud, qui accueillait l’assemblée à l’Hôtel de Région, a donné le ton dès l’ouverture : « Performance économique et inclusion sociale doivent avancer ensemble ». Elle assure que la Région Ile-de-France maintient quasiment ses budgets à l’ESS à l’identique, qu’elle mise sur une stratégie ESS renouvelée et qu’elle veut renforcer encore la visibilité des structures auprès des acheteurs publics pour les aider à développer leur modèle économique.
Avec 10 % du PIB régional représenté par la commande publique, les achats responsables sont pour elle un « moteur puissant » pour aider les acteurs de l’ESS à changer d’échelle. Elle met également en avant la gamme de financements “UP”, l’Accélérateur ESS ou encore le projet “Splendid” qui facilite l’accès au foncier en phase d’amorçage.
Un secteur sous pression, mais plus visible que jamais
Du côté de la CRESS Île-de-France, son président Youssef Achour a livré un message plus grave. Le succès international le mois dernier à Bordeaux du Forum mondial de l’ESS (GSEF) a prouvé le rayonnement de l’économie sociale et solidaire, mais il alerte : « Ça ne tient plus », a-t-il rappelé, en écho aux revendications associatives qui représentent 80% des structures de l’ESS. Les moyens publics diminuent, alors que les besoins des associations explosent. Le slogan-choc est assumé : « Nous n’arrivons plus à faire ». Pourtant, les Français plébiscitent l’ESS, rappelle-t-il, applaudissent par exemple la levée de fonds réussie de la coopérative Duralex ainsi que les modèles démocratiques associatifs.
Aussi, Youssef Achour appelle-t-il l’État à sanctuariser les moyens financiers pour que l’ESS puisse « assurer les missions qui lui ont été confiées » par l’Etat. Et de s’adresser aussi aux acteurs : « L’isolement est mortel. Adhérez à la CRESS, c’est un acte politique ».
Troisième invité, l’État, représenté par la préfète Marie Gautier-Melleray, acte le retard accumulé pour lma tenue de cette Conférence régionale de l’ESS. La faute à la crise Covid, puis aux Jeux Olympiques, estime-t-elle. Elle appelle à tenir le rythme désormais : une conférence tous les deux ans. Et elle confirme la future Stratégie nationale de l’ESS attendue désormais pour le premier trimestre 2026, autour de quatre axes, dont un « soutien renforcé aux transitions » et une gouvernance plus coordonnée entre État et collectivités. Rappel important : 600 structures franciliennes ont contribué aux JO 2024. « Capitalisons sur ce succès », plaide-t-elle.
L’éclairage statistique présenté par Sébastien Chaillou, directeur général de la CRESS Ile-de-France, vient cependant rappeler de dures réalités : l’ESS francilienne représente 450.000 emplois, soit 9,5 % de l’emploi privé régional, mais impossible de ne pas observer la forte hausse des faillites depuis mi-2023 et la multiplication par cinq du nombre de procédures de sauvegarde en l’espace d’un an : 1 500 structures sont concernées, autrement dit en difficulté au regard du maintien de l’emploi, sans être encore pour l’heure en cessation de paiement. Un signal d’alarme.
Comment articuler État, Région, Départements et Intercommunalités ?
La table ronde animée par Mediatico a ensuite engagé le débat sur les articulations institutionnelles, souvent complexes mais essentielles pour la structuration de l’ESS au niveau régionale. Qui impulse la stratégie de développement économique et, surtout, comment la Région (puisque c’est elle) s’articule-t-elle avec les autres échelons administratifs et politiques pour élaborer sa mission de développement économique en s’appuyant notamment sur l’ESS ?
Hélène Croze, secrétaire générale aux politiques publiques de la Préfecture d’Île-de-France, a détaillé le rôle de l’État dans le pilotage. Elle évoque les contraintes budgétaires fortes et souligne que le DLA, « particulièrement sollicité » en période de tension économique, incarne l’enjeu d’un accompagnement des structures qui doit rester garanti. Il serait bon que le budget 2026 de l’Etat – encore en discussion parlementaire – acte cette vision économique et politique.
Pour la Région Ile-de-France, Sylvie Mariaud revendique une stratégie ESS ambitieuse, structurante, qui ne vise ni à remplacer l’État ni les intercommunalités, mais à « impulser des dynamiques nouvelles » et faciliter la mise en réseau.
Côté territoires, Étienne Monpays, directeur général adjoint de Cœur d’Essonne Agglomération, montre qu’une intercommunalité peut être un moteur très concret de la dynamique économique territoriale. Son programme Sésame, axé sur l’alimentation durable, illustre une politique ESS de terrain, née de besoins locaux, structurée avec les communes, les associations et les habitants.
Enfin, Mathilde Sallez, cheffe du bureau ESS et IAE du Département de Seine-Saint-Denis, a expliqué pourquoi son département a choisi de faire de l’ESS un axe structurant : levier d’insertion, réponse aux besoins sociaux, soutien à la jeunesse, dynamique culturelle… La Seine-Saint-Denis revendique une ESS transversale, dit-elle, intégrée à différentes politiques publiques.
L’ESS à la croisée des politiques publiques : un enjeu de gouvernance
L’après-midi a aussi permis d’explorer comment l’ESS irrigue désormais l’ensemble des politiques publiques : alimentation durable, insertion, mobilité, économie circulaire, culture, ruralité. Une transversalité que la future Stratégie nationale de l’ESS, co-construite avec les collectivités, devra organiser. Les intercommunalités devront y trouver leur place, notamment dans la gestion des PTCE et la mise en œuvre des innovations sociales.
La Région, pour sa part, souhaite renforcer les articulations entre ESS, économie circulaire, tourisme, politique culturelle ou ruralité. « L’ESS irrigue déjà beaucoup de politiques », observe Sylvie Mariaud, tout en citant plusieurs dispositifs régionaux à consolider.
Quant aux territoires, ils ont insisté sur l’importance de financements adaptés, stables, capables de soutenir des dynamiques au long cours, au-delà des mandats. Là encore, Sésame en Essonne ou les démarches transversales du Département de Seine-Saint-Denis illustrent concrètement cette ambition.
Une coopération stratégique perfectible
Après quatre années d’absence, cette Conférence régionale de l’ESS aura prouvé une chose : malgré la tempête, l’ESS francilienne reste un pilier. Elle innove, elle s’organise, elle interpelle, elle construit. Et elle entend bien peser dans les politiques publiques.
Cette table ronde n’aura toutefois pas réussi à mettre en évidence la complémentarité ou la coopération stratégique entre les différents échelons politiques dans leur volonté de développer l’ESS en Île-de-France. Selon Mediatico, l’échange a surtout montré que chacun agit dans un climat de respect et en bonne intelligence avec les autres échelons, mais encore principalement dans son propre périmètre.
Les marges de progression existent donc en matière de coordination et de stratégie commune. La prochaine Conférence régionale de l’ESS, dans deux ans donc, devrait être l’occasion de les observer de plus près. Rendez-vous en 2027.


