Revoilà donc cette fameuse COP, la vingt-septième du nom, qui se penche sur le climat sous l’égide de l’ONU. Sept ans après celle de Paris, où près de 200 chefs d’État avaient paraphé, signé, contre-signé, juré-craché, en 2015, au pied de la Tour Eiffel, leur engagement à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, dans l’espérance de sauver la planète du dérèglement climatique. Comme nous étions naïfs alors. On y croyait ! Et les revoici rassemblés, depuis hier, à Charm-El-Cheikh, en Égypte. A deux semaines du lancement de la triste coupe du monde de football au Qatar, dans des stades honteusement climatisés. Et à grands coups de jets privés pour ramener les supporters à leur hôtel…
Ne rêvons pas. A Charm-El-Cheikh, grands discours et effets de manche garantis. Depuis hier, on y parle transition énergétique, neutralité carbone, stockage de CO2, compensation des émissions. Faire payer les pays les plus riches à la demande des plus pauvres, comme le demande le Secrétaire général de l’ONU ? Je n’y crois pas. Même les représentants des ONG, comme ce jeune militant ougandais, déchantent. Car hélas, le monde est plus divisé que jamais. Soyons francs, faute de vision commune, d’objectifs fédérateurs, de décisions unanimes, aucun point de bascule possible. Même pour l’avenir de la planète !
La COP du greenwashing ? Cette critique fuse de toutes parts lorsque l’ONU propose de mettre un prix sur le carbone, donc de le taxer. Certes, voilà qui permet de chiffrer les externalités négatives des pollueurs et de les mettre à l’amende. Mais voilà qui permet aussi aux plus riches de payer pour compenser leurs émissions, sans faire d’efforts pour les réduire.
Les dirigeants du monde ? Ils ne sont pas à la hauteur de l’enjeu climatique. Fin septembre, l’association Notre Affaire à Tous relayait une lettre ouverte des avocats d’une vingtaine d’ONG, affirmant que nos dirigeants doivent se préparer à faire face aux tribunaux compte tenu de la faiblesse de leurs plans d’action pour le climat.
Les citoyens ? Ils sont pris en otage entre éco-anxiété et injonctions paradoxales. D’accord pour mettre des cols-roulés en hiver, mais pourquoi les bureaux restent-ils allumés la nuit ? D’accord pour préférer le train à l’avion, mais pourquoi la détaxation du kérosène rend l’avion moins cher que le train alors qu’il pollue largement dix fois plus ? Le sentiment de culpabilité est si facile à véhiculer.
Les entreprises ? Tiens, les entreprises… À Charm-El-Cheikh, on parle si peu des entreprises. Et pourtant ! Regardez Elon Musk, qui fort de sa fortune décide en une semaine de licencier la moitié du personnel de Twitter, tout en assurant vouloir sauver l’espèce humaine (mais pas la Terre) en colonisant Mars.
Regardez TotalEnergies, qui assigne cette semaine Greenpeace France en justice après l’accusation selon laquelle le groupe pétrolier aurait émis en 2019 quatre fois plus de gaz à effet de serre qu’il l’a annoncé officiellement (lire Le Monde). Après le dieselgate de Volkswagen, bientôt le TotalEnergyGate ?
Regardez BNP Paribas, si sévèrement taclée sur LinkedIn la semaine dernière (lire les commentaires à ce post) quand elle défend ses engagements sur l’impact alors qu’elle est mise en demeure par trois ONG de ne plus financer le chaos climatique, au motif qu’elle serait le « premier financeur des principales majors du pétrole et du gaz » (lire Le Monde).
Et regardez la Société Générale, qui annonce la semaine dernière vouloir réduire de 10% d’ici à 2025 ses financements au secteur de l’extraction de gaz et de pétrole. Sérieux ? (lire dans Les Échos). 10% de baisse seulement, alors que « notre maison brûle » ? Alors que son plan de réduction énergétique propose ridiculement de baisser le chauffage à 19 degrés, youhouuuu ! (lire son communiqué) Alors qu’elle affiche, sur un seul trimestre, pas moins de 1,5 milliard d’euros de bénéfice net, gagnés sur des marchés financiers ultra-carbonés ?
Il y a quelque chose de pourri au royaume de la finance et de l’argent etles dirigeants du monde feraient bien de s’en préoccuper à Charm-El-Cheikh. C’est demain, 9 novembre, que la COP 27 consacrera sa journée à la finance. Il est grand temps ! La planète a besoin d’une reprise en main politique pour adresser les enjeux de demain. Elle a besoin en particulier que les capitaux soient drainés massivement vers la transition.
En France, alors que vient de s’ouvrir la semaine de la finance solidaire coordonnée par FAIR ex-Finansol, c’est demain aussi que Marlène Schiappa, secrétaire d’État à l’Économie sociale et solidaire (ESS), inaugurera un colloque intitulé « La finance solidaire pour tous ! ». C’est gentil de rassembler les acteurs de l’épargne solidaire et ceux de l’ESS, mais c’est si peu.
En France, nous avons besoin que les vrais-faux plans d’épargne solidaire dits « 90-10 », qui sont investis à 10% dans l’économie sociale et solidaire mais à 90% sur les marchés financiers classiques bien carbonés, deviennent des plans « 70-30 », puis demain des plans « 50-50 » pour véritablement financer la transition.
En France – et en Europe – nous avons besoin d’une réglementation qui dissuade les TotalEnergies, Société Générale, BNP Paribas ou autres, de pratiquer le greenwashing. En imposant un prix du carbone très élevé qui perturbe sérieusement leur comptabilité ; en imposant des sanctions financières très lourdes quand la ligne rouge du réchauffement climatique et de la protection du vivant est franchie ; en versant les 170 milliards d’euros annuels de subventions publiques aux entreprises sous condition climatique (lire Alternatives Économiques).
Emmanuel Macron, dans le cadre de la planification écologique du gouvernement français, reçoit aujourd’hui-même les dirigeants des 50 sites industriels français les plus polluants. Nous verrons si les annonces sont à la hauteur de l’enjeu.
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