Le 29 novembre dernier, l’Eurodéputé Pascal Canfin annonçait sa proposition de mettre en place un mécanisme obligatoire de partage aux salariés des bénéfices des entreprises. Ce “dividende salarié” nommé ainsi sur la base des travaux de l’économiste Thibault Lanxade, vise à dupliquer les dividendes versés aux actionnaires par une obligation de verser un équivalent aux salariés, sous forme d’une prime de participation ou d’intéressement obligatoire, quelle que soit la taille de l’entreprise.
Cette réflexion sur le partage de la valeur doit intéresser au plus haut point tous les acteurs de l’Economie Sociale et Solidaire ; dans nos structures où le capital n’est pas partagé par des actionnaires, et où seuls les salariés sont in fine intéressés au résultat des entreprises et des associations, l’application d’un mécanisme robuste et lisible de partage de la valeur doit devenir consubstantiel aux valeurs que nous défendons. Il demande toutefois à ce que soit favorisé la création de valeurs, qu’il soit adapté à la réalité du modèle de nos structures, et demande une révolution culturelle dans les gouvernances de l’ESS.
Favoriser la création de valeur dans l’ESS
Alors qu’elles sont confrontées dans leurs activités aux mêmes contraintes que les entreprises de l’économie lucrative, avec qui elles sont d’ailleurs en concurrence dans un nombre croissant de secteurs, les structures de l’ESS font face à de nombreux freins à leur développement économique : questionnements sur la durabilité de leur modèle socio-économique, pression inflationniste dans leurs coûts incompressibles, nécessité d’innover.
Or pour pouvoir partager de la valeur, l’ESS doit déjà en créer. C’est donc avant tout, assumer que nos structures peuvent être profitables parce qu’elles sont des véritables acteurs économiques reconnus par les autorités publiques. C’est aussi admettre que cela ne s’oppose pas avec leur objet d’intérêt général ni avec le sens de leurs activités. Pourtant des freins existent toujours à ce que l’ESS, et notamment les associations qui en forment une part importante, puissent se doter des capacités à créer de la valeur.
Ainsi, Il faudrait interroger certaines dispositions de la Loi du 1er juillet 1901 et de ses amendements. Tout en conservant leur caractère non-lucratif, qui est au fondement du droit, les associations doivent pouvoir développer plus aisément leurs activités, et ce sans craindre une requalification judiciaire en “société commerciale”.
Il convient également de poser l’enjeu de l’innovation, qui est au fondement de la création de valeur dans l’économie. Les entreprises lucratives bénéficient, depuis plusieurs années, d’une palette d’outils publics, et notamment du crédit d’impôt recherche, qui soutiennent la prise d’initiative pour innover, changer d’échelle ou encore s’internationaliser. Sa réussite témoigne de l’importance de pouvoir doter l’ESS d’un véritable fonds public qui permette les changements d’échelles et favorise l’innovation dans tous les secteurs couverts par nos structures.
Adapter les dispositifs de partage de la valeur
Disposant ainsi des capacités de créer de la valeur, les structures de l’ESS doivent également disposer des mécanismes pour la partager. Disons-le clairement : les dispositifs d’intéressement, fondés sur le droit des entreprises, sont au mieux inadaptés à la réalité économique et aux spécificités comptables de nombreuses structures de l’ESS. La Prime de Partage de la Valeur, ou “prime Macron”, a structurellement le défaut de sa simplicité ; dé-socialisée, elle ne participe d’aucune manière à l’avenir des salariés face au aléas de la vie (chômage, maladie, accident du travail, parentalité). En effet l’idée que l’enrichissement créé est contemporain du versement, mais qu’il ne prépare pas l’avenir sauf à céder aux sirènes de la capitalisation individuelle, ne répond ni aux fondements des engagements et de la philosophie des employeurs de l’ESS, ni au fond à l’idée de dividende salarié.
Adapter ainsi le “dividende salarié” à l’ESS nécessite donc de penser un dispositif ad hoc. S’appuyant sur une révision de la comptabilité et de la fiscalité associative, il pourrait par exemple se baser sur le partage d’une part du bilan annuel des associations. Soumis au prélèvement forfaitaire unique, c’est à dire considéré comme “un dividende”, il aurait le mérite d’être soumis aux cotisations, participant ainsi au financement des organismes de sécurité sociale et professionnelle.
L’ESS doit enfin opérer son évolution culturelle
Ces premières pistes, non exhaustives, ne doivent pas occulter la profonde question culturelle posée à l’ESS sur le partage du résultat. Les employeurs de l’économie lucrative ont sur ce sujet une avance importante sur les gouvernances associatives, étant acculturées de longue date à discuter avec leurs salariés du versement de participation, d’intéressement ou de primes
Pourtant il n’est aucune entreprise où la question du partage de la valeur créée avec les salariés ne doive être aussi importante que dans les structures de l’ESS : non-lucratives, dirigées par des gouvernances qui ne sont pas intéressées financièrement aux résultats de l’entreprise, elles sont d’autant plus enjointes à discuter avec la force motrice de leur projet entrepreneurial : le travail fourni par leurs salariés.
Dans le cadre d’une profonde évolution culturelle, nécessaire, et qui implique de nouveaux espaces d’expression de la citoyenneté au travail, l’ESS doit ainsi faire du partage de la valeur avec ses salariés l’une de ses priorités. C’est aussi à cette condition qu’elle redeviendra attractive, conjuguera ses valeurs avec une forme de prospérité économique, et pourra accélérer sa transformation et sa modernisation.
David Cluzeau, Délégué général d’Hexopée