C’est un front uni pour l’emploi, mais contre le mépris budgétaire, qu’ont présenté vendredi neuf grands réseaux de l’insertion par l’activité économique réunis au sein d’un Collectif IAE, après leur rencontre décevante, deux jours plus tôt, avec la ministre chargée du Travail et de l’Emploi. Astrid Panosyan-Bouvet, qui avait d’abord oublié de les inviter, ne leur a finalement laissé aucun espoir. Lors d’un point presse organisé à Paris, dans le tiers-lieu Les Amarres, le Collectif IAE a donc tiré le signal d’alarme. Une nouvelle fois. Mais cette fois-ci, beaucoup plus fort que d’habitude.
Et pour cause : la ministre leur a confirmé la baisse du budget alloué aux postes d’insertion de 50 millions d’euros par rapport à 2024, ainsi qu’un second coup de rabot de 30 millions d’euros sur les fonds de formation dédiés aux parcours d’insertion (PIC IAE). Soit 80 millions d’euros de moins dans le budget 2025 tout juste adopté, qui d’emblée n’inclut pas les revalorisations du Smic sur lequel sont indexés les salaires du secteur. Un micro-sujet budgétaire, pensez-vous ? Non, plutôt un effet ciseau redoutable sur le retour à l’emploi des plus fragiles.
Les réseaux de l’IAE emploient 300.000 personnes en insertion sur l’ensemble du territoire français. Ces personnes très éloignées du marché du travail, cassées par la vie ou en mauvaise santé, retrouvent grâce aux 4.600 structures de l’IAE un emploi, une formation, une dignité, une place dans la société. Elles perçoivent un salaire, paient des cotisations, consomment, se logent et contribuent à notre système économique, social et fiscal. La France est un exemple en la matière.
L’IAE, maillon clé de la politique de l’emploi depuis 50 ans
Mais le retour des personnes éloignées de l’emploi sur le marché du travail n’est possible que grâce à un accompagnement socioprofessionnel exigeant, forcément coûteux. Le modèle économique des structures d’insertion est structurellement déficitaire. Mais les gouvernements successifs ont toujours choisi de les soutenir financièrement, voyant dans l’action de ces acteurs de l’économie sociale et solidaire un maillon essentiel de la politique de (retour à) l’emploi.
Sauf aujourd’hui. En 2025, la casse sociale menace. L’an dernier, 856 associations avaient déjà mis en place des procédures collectives, autrement dit de licenciement, selon les chiffres de l’Insee. En 2025, sur le seul mois de janvier, le réseau d’insertion généraliste Coorace indique que 1% de ses 600 adhérents ont mis la clé sous la porte. Rapporté à toute l’année 2025, Coorace voit un risque crédible de 12% de liquidations judiciaires parmi ses adhérents, si rien n’est fait.
La singularité de cette conférence de presse est sans nul doute l’unanimité absolue de toutes les familles de l’insertion à dénoncer la situation. Que les structures employeuses soit des entreprises (EI) ou des associations (ACI), qu’elles soient généralistes (Coorace, UNAI, FAS) ou spécialisées (Emmaüs France, Restos du Coeur, Réseau Cocagne, Régies de quartier, Chantier École…), toutes se rejoignent, au-delà de différences parfois profondes dans leurs modèles économiques, leurs secteurs d’activité, leurs clients ou leurs financement sur fonds publics.
Les déclarations des grands réseaux de l’IAE
Antoine Laurent, délégué général de la Fédération des Entreprises d’Insertion, dénonce une coupe budgétaire qui va supprimer 11.000 parcours d’insertion et priver 30.000 personnes de formation vers un emploi durable. David Horiot, président du réseau Chantier École, souligne que le financement de l’IAE est un investissement. Frédéric Fronton, vice-président du Mouvement des Régies de Quartier, prévient que des services essentiels ne seront plus rendus dans les quartiers, où l’explosion sociale menace. Christian de Brunier, président de l’Unai, insiste sur l’urgence de la situation.
Yann Fradin, vice-président d’Emmaüs France, regrette la fragilisation du modèle de l’IAE par son absence dans de nombreux comités départementaux de l’emploi. Dominique Hays, président du réseau Cocagne, affirme la nécessité d’une politique publique co-construite avec l’État. Nathalie Latour, directrice générale de la Fédération des Acteurs de la Solidarité (FAS), rappelle que ces baisses des financements de l’État s’ajoutent à celles des collectivités territoriales et des fonds européens, fragilisant grandement les structures d’insertion. Et Laurent Pinet, président de Coorace, de mettre en garde contre une année noire sur le front du chômage en 2025.
La profonds paradoxes de cette logique économique
Quel paradoxe ! Quel retournement de veste en matière de politique publique de l’emploi. Cette course au fameux plein emploi, poursuivie avec acharnement depuis 2017, a financé dès 2018 des entreprises d’insertion pour travailleur indépendant (EITI), dont l’IGAS révèle en ce mois de février qu’elles ont finalement accru la précarité des plus précaires (lire ici). Et cette course au plein emploi débouche finalement en 2025 sur la mise au pas des bénéficiaires du RSA, qui doivent à présent effectuer 15h d’activité par semaine (ni comme salariés, ni comme bénévoles, allez comprendre…). Une injonction à l’activité, tout en sabordant les budgets dédiés à l’insertion par le travail de ceux qui, pour la plupart, sont au RSA !
Autre paradoxe, celui de France Travail. Son directeur général, Thibaut Guilluy, connaît par coeur le secteur de l’insertion. Il y fut entrepreneur, puis directeur général du groupe ARES de 2006 à 2020, avant d’être nommé Haut-Commissaire à l’emploi, poste auquel il a fortement défendu le développement de l’insertion en entreprise… Le voilà depuis décembre 2023 patron de France Travail, où il est chargé d’accompagner 1 million de personnes supplémentaires : les jeunes diplômés et les bénéficiaires du RSA, désormais réintégrés dans les statistiques du chômage. Mais tout cela, à moyens constants. France Travail passe au « lean management » !
Voilà une drôle de politique de l’emploi, où l’on comprend qu’en pleine crise économique et budgétaire, le gouvernement obnubilé par l’orthodoxie budgétaire privilégie sa réforme structurelle, à savoir France Travail et le RSA, au détriment des acteurs de l’insertion qui accompagnent depuis 50 ans les politiques publiques et les personnes les plus en fragilité. Mais « réduire le budget de l’IAE, ce n’est pas réaliser des économies, c’est détruire des capacités sociales, soulignent ensemble les neuf réseaux de l’IAE, c’est supprimer des emplois durables et non délocalisables sur les territoires, et réduire la capacité locale à relever les défis de la transition écologique juste ».
De l’IA à l’IAE, il n’y a (presque) qu’un pas
Voilà aussi une bien maladroite communication budgétaire venue d’en haut, qui consiste à annoncer dans la même semaine que la France se donne les moyens d’investir 109 milliards d’euros dans l’intelligence artificielle (IA), mais qu’elle n’a pas les moyens d’investir dans l’Insertion par l’activité économique (IA…E). Le décalage entre la parole politique et la réalité des quartiers est béant.
Heureusement, après le Sommet de l’IA, se tiendra un Sommet de l’IAE ! Oups pardon, non, ce sera juste un Séminaire, organisé par le Collectif IAE. On y était presque… Il se déroulera après l’été, sans doute début septembre. Au Palais du Luxembourg. On pourrait presque dire « au Sénat », mais n’en faisons pas trop, des fois que la symbolique parlementaire soit abîmée d’ici là par une nouvelle dissolution.
Espérons en tous cas que la ministre sera toujours là, qu’elle assistera au séminaire, qu’elle sera bronzée et qu’elle aura l’esprit plus clair.