C’est un séisme politique. J’en suis resté bouche bée. Interloqué. Choqué, comme vous sans doute. L’extrême droite à près de 40% en France aux élections européennes. Et surtout, dans l’heure qui suit, le président de la République qui dissout l’Assemblée nationale, appelant les électeurs à voter pour de nouveaux députés dans trois semaines. Qui peut croire que les Français voteront différemment dans trois semaines ? Personne. Emmanuel Macron vient donc d’inviter Jordan Bardella à entrer à Matignon. C’est un renoncement. Une abdication. Une trahison. Une forfaiture.
Les choses auraient pu être différentes. Comme ultime barrage au RN, il aurait pu décider de conserver sa très difficile majorité relative à l’Assemblée nationale pendant encore deux ans, jusqu’à la fin de la législature. Imaginons : d’ici là, il aurait infléchi sa politique, changé de Premier ministre, écouté les Français, gouverné vraiment, dans l’intérêt de tous. Mais son choix a été différent. Ni gauche, ni droite ? En même temps ? Mensonges. Avec lui, voici venir la cohabitation honteuse. Et après lui, le chaos.
Certes, la résistance s’organise. Mais regardons bien les chiffres de ce scrutin européen, qui vaut aujourd’hui rapport de force national : les forces de gauche cumulées dans un nouveau Front Populaire totalisent 31,6% des voix. C’est autant que le RN à lui seul. Et c’est moins que les 36,9% récoltés ensemble par Jordan Bardella et Marion Maréchal. Où sont les réserves de voix républicaines ? A droite, les LR refusent toute alliance avec les macronistes. Reste 9,7% de voix portées dimanche sur les toutes petites listes. Et 49% d’abstentionnistes, qui feront la différence.
Une responsabilité majeure pour l’ESS
C’est un coup de massue pour la société civile, les acteurs de l’engagement, le secteur associatif et l’ensemble du mouvement de l’économie sociale et solidaire. Ce dernier tient son Congrès cette semaine, mercredi et jeudi, nous allons donc en reparler très vite. Car celles et ceux qui luttent chaque jour contre la haine, contre l’exclusion, contre les inégalités, ceux qui défendent l’amélioration des conditions de vie, l’équité, la solidarité, qui veulent construire une société où chacun trouve sa place et est respecté dans ses droits, ceux-là font face à une responsabilité majeure.
Benoît Hamon, nouveau président d’ESS France dont le mandat débute mercredi, les avait déjà interpelés fin janvier, lors du Forum de Niort : les acteurs de l’ESS accepteront-ils de frapper à la porte d’un gouvernement d’extrême droite, pour obtenir les subventions qui financent leurs actions au service de l’intérêt général, demandait-il alors ? Iront-ils négocier avec les ministères, les préfectures ou les services de l’Etat, au risque d’un virage imposé dans leurs orientations stratégiques ? À quels renoncements sont-ils prêts dans l’affirmation de leurs valeurs, de leur histoire, de leur identité ? Et pour aller au bout de la question, quelles suppressions de financements la culture, l’éducation populaire ou l’insertion peuvent-elles supporter ? Aucune.
Paroles de résistants : s’indigner, résister, agir
À moins d’une surprise électorale début juillet, voici donc venu le temps de la résistance. Rappelez-vous Stéphane Hessel, décédé voilà déjà onze ans à l’âge de 96 ans : ancien résistant, il avait rédigé un petit ouvrage adressé à la jeunesse de l’époque, intitulé : « Indignez-vous ». Un véritable succès de librairie. Mais la voix des résistants s’éteint, inexorablement.
La semaine dernière, c’est son ami Claude Alphandéry, à qui le Labo de l’ESS rendait un ultime hommage lors de son assemblée générale. Également ancien résistant, fondateur et Président d’honneur du Labo de l’ESS, il nous a quittés le 25 mars dernier, à l’âge de 101 ans. Claude Alphandéry avait fait de l’extrême droite le combat de sa vie, ce qui l’avait conduit à promouvoir l’économie sociale et solidaire. Début mars, face au « retour de la barbarie », il avait employé ses dernières forces à rédiger cette tribune dans L’Obs, nous appelant à empêcher une nouvelle nuit noire de l’humanité et à barrer la route aux candidats populistes et autoritaires.
« Agissez comme si vous ne pouviez pas échouer », nous enjoignait Claude Alphandéry. Les mêmes mots que ceux employés par le Premier ministre britannique, Winston Churchill, durant la deuxième guerre mondiale. Une guerre d’un autre siècle. Dont Emmanuel Macron vient de célébrer le 80e anniversaire de la victoire face au nazisme. Pas plus tard que la semaine dernière.