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Financement de l’intérêt général : des pistes pour sortir de l’impasse

C’est un thème récurrent par les temps qui courent : comment repenser le financement de l’intérêt général ? Le 12 novembre dernier, le Carreau du Temple accueillait la 2ᵉ Assemblée des lauréats de la Fondation La France s’Engage, un temps fort qui a permis à cette jolie communauté d’entrepreneurs sociaux de réfléchir à la question et d’apporter des pistes de réponse. 

Entre débats stratégiques, témoignages poignants et pistes d’innovation, les échanges ont souligné, une fois encore, la réalité brutale selon laquelle les acteurs de l’économie sociale et solidaire est à bout de souffle. Face à la raréfaction des fonds publics et à la complexité des dispositifs de financement, ils appellent à une refonte en profondeur des modèles de soutien.

Des entrepreneurs sociaux épuisés, mais toujours engagés

La table ronde sur les difficultés des entrepreneurs sociaux a été l’un des moments les plus marquants de la journée. Youssef Oudahman, cofondateur de Meet My Mama, a résumé la situation en une phrase : « On nous demande de faire plus, mieux, avec moins. » Son organisation a dû réduire sa masse salariale de 40 % cette année, tout en continuant à porter une mission sociale ambitieuse. « Nous ne demandons pas plus, mais nous avons besoin de temps long pour agir efficacement », a-t-il insisté.

Marie-Flore Leclercq, directrice générale d’Entourage, a rappelé une évidence souvent oubliée : « Par nature, ce que l’on fait ne sera jamais rentable. » Elle a plaidé pour la création de banques de financement, inspirées d’une pratique connue dans les écoles de commerce, afin d’éviter aux associations de remplir sans cesse les mêmes dossiers de subventions. « Il faut repenser les modèles de financement pour qu’ils soient adaptés à nos réalités », a-t-elle souligné.

La philanthropie en mutation : vers un financement plus durable

Thibault de Saint-Simon, directeur général de la Fondation Entreprendre, a pointé un paradoxe : « La philanthropie a longtemps financé l’innovation, mais pas assez la robustesse des structures », souligne-t-il. Selon lui, les mécanismes en place se structurent exclusivement autour de deux enjeux : l’urgence immédiate, qui consiste à soutenir les structures en difficulté financière, et leur besoin de financement de long terme, permettant de consolider et structurer les organisations au-delà de leurs seuls projets.

Mais Thibault de Saint-Simon met en garde contre un déséquilibre croissant : « On finance de plus en plus de consolidations, mais il faut continuer à soutenir l’innovation. » Et d’ajouter : « Derrière les structures, il y a des humains. Il faut aussi investir dans la santé des dirigeants associatifs. »

Marion Lelouvier, présidente du Centre Français des Fonds et Fondations (CFF), ajoute que « l’épuisement est palpable, tant dans les associations que dans les fondations. » Elle appelle à changer les façons d’opérer collectivement, en favorisant le dialogue entre associations, entreprises et acteurs publics.

Des pistes concrètes pour sortir de l’impasse

Plusieurs idées ont émergé pour repenser le financement de l’intérêt général :

1. Sortir de la logique des appels à projets

Cécile Martignac, directrice de la Maison des Enfants Extraordinaires, propose aux financeurs de privilégier les « appels à communs » plutôt que les appels à projets, avec la mise en place d’une « plateforme mutualisée où chacun présente son projet, puis où les financeurs se positionnent, ce qui permettrait de réduire la concurrence artificielle entre associations », a-t-elle expliqué.

2. Automatiser le reporting pour réduire la charge administrative

Dans la salle, des acteurs associatifs ont aussi dénoncé la lourdeur des procédures et la multiplication des demandes de reporting exigées par les financeurs. « On passe plus de temps à rendre des comptes qu’à agir », a témoigné un participant. La piste d’un reporting automatisé, avec un accompagnement dédié, a été évoquée pour alléger cette charge.

3. Diversifier les sources de financement

Nelly Garnier, conseillère régionale en Île-de-France, a pour sa part insisté sur la nécessité de sortir de « la culture du guichet » dans laquelle seraient enfermés les acteurs associatifs : « Il faut aller chercher des financements privés et diversifier les ressources », a-t-elle martelé. Ce à quoi il lui a été répondu que les pouvoirs publics devaient évoluer eux aussi, en passant d’une logique concurrentielle de subventions à des modèles de co-décision et de partenariats durables en confiance.

4. Les fondations actionnaires

Cyrille Vu, président de SeaBird Conseil, a quant à lui présenté un modèle innovant : la fondation actionnaire. Il a créé la sienne, qui détient aujourd’hui 25 % de son cabinet de conseil. Ce montage lui permet de remonter chaque année une part des dividendes de son entreprise dans sa fondation, qui peut ainsi financer des projets d’intérêt général. Il milite pour que 50 000 à 70 000 entreprises qui vont changer de main d’ici 20 ans fassent de même. Selon lui, l’enjeu est triple : « souveraineté nationale, robustesse économique, et solidarité », a-t-il expliqué. Des exemples comme les sirops Monin ou les cuisines Schmidt, ou d’autres fondations membre de la communauté De Facto créée par Prophil, montrent que ce modèle fonctionne.

Un appel à l’action collective

La journée s’est conclue sur un constat partagé, résumé ainsi par Youssef Oudahman : « Nous ne sommes plus des porteurs de projets, nous sommes des porteurs de mission. Il est temps de repenser nos financements dans le temps long. »

Une Assemblée des lauréats qui aura montré que la crise du financement de l’intérêt général est profonde et largement répandue, mais aussi que des solutions existent. Reste à les mettre en œuvre, collectivement. 

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