Le secteur de l’éducation populaire, central en matière de cohésion sociale et de formation des citoyens, traverse actuellement une période de fortes tensions en matière de recrutement. La quatrième édition du baromètre réalisée par Hexopée, Elisfa et le FONJEP met en lumière une situation préoccupante : la pénurie de main-d’œuvre se maintient à un niveau élevé et s’aggrave pour de nombreux employeurs. Dans un contexte où les associations peinent à attirer et retenir des professionnels qualifiés, tous les regards se tournent vers les décideurs politiques, appelés à agir de manière urgente pour éviter une crise plus profonde.
Les résultats de l’enquête 2024 révèlent que 69 % des structures du secteur continuent de rencontrer des difficultés de recrutement, soit à peine moins que les 72 % relevés en 2023, et que pour les 31 % restants, la situation s’est détériorée. Or, cette pénurie de main-d’œuvre impacte directement le fonctionnement des structures : près de 40 % d’entre elles ont dû réduire ou supprimer des activités, limitant leur capacité à répondre aux besoins des usagers.
Les postes vacants concernent tous les niveaux de la profession : des animateurs aux cadres de direction, en passant par les techniciens et les professionnels de la petite enfance. L’ampleur du phénomène est telle que 7.372 postes restent inoccupés, tandis que 18.576 nouvelles ouvertures de postes sont prévues d’ici 2025. A l’évidence, des solutions structurelles sont nécessaires.
Les causes de la pénurie : rémunérations et manque de formation
Parmi les raisons principales de cette pénurie, la question des rémunérations insuffisantes est pointée par 71 % des employeurs. S’y ajoutent le manque de formation et de qualification des candidats (62 %) et la prévalence des emplois à temps partiel (55 %), souvent peu attractifs pour les potentiels travailleurs. Bien que des mesures aient été prises pour revaloriser les salaires, améliorer la rémunération des temps de préparation et travailler sur la question du temps partiel, les associations soulignent que ces efforts nécessitent le soutien des financeurs pour être soutenables.
La dépendance des associations vis-à-vis des financements publics complique aussi leur capacité à stabiliser l’emploi. Pour la première fois depuis la création du baromètre, la part des projets de recrutements en CDI a chuté de 40 % à 34 %, et les contrats d’apprentissage ont également reculé. Cette tendance témoigne de la crainte des associations face à un soutien financier public perçu comme insuffisant et incertain.
L’inquiétude des représentants du secteur
Patrick Chenu, Président du FONJEP, insiste : « Les acteurs associatifs doivent pouvoir embaucher des professionnels formés et reconnus, en leur offrant des perspectives d’évolution réelles. Sans politiques publiques stables et adaptées aux réalités économiques, nos efforts pour stimuler l’engagement et l’éducation populaire resteront limités. »
David Cluzeau, délégué général d’Hexopée, ajoute : « Les annonces budgétaires anxiogènes conduisent à une évolution de la qualité des contrats proposés. Cette logique récessionniste pourrait nuire à l’ensemble de l’économie sociale et solidaire, mettant en péril l’emploi et l’accès aux services sur tous les territoires. »
Et Manuella Pinto, déléguée générale d’Elisfa, prévient que « sans soutien financier suffisant, nous risquons non seulement de voir disparaître des emplois, mais de transférer la charge de la solidarité sur les femmes, qui composent majoritairement ce secteur, avec des conséquences sur leur carrière et leur emploi. »
Appel à des politiques publiques de soutien
Face à ces défis, Hexopée, Elisfa et le FONJEP appellent à des décisions politiques audacieuses et durables. Ils demandent notamment :
- Le maintien du soutien financier de l’État et des collectivités locales pour garantir la pérennité des emplois et des projets.
- L’augmentation du financement des « postes FONJEP » jusqu’à 75 % des minimums conventionnels.
- La mise en place d’une conférence des financeurs pour créer une stratégie pérenne permettant aux associations de diversifier leurs ressources tout en assurant leur viabilité économique.
Le baromètre 2024 alerte sur la nécessité de réponses politiques rapides. Les associations, déjà confrontées à des défis financiers et structurels, ne peuvent relever seules le défi du recrutement de professionnels spécialisés. La survie de l’éducation populaire, secteur majoritairement féminin et acteur clé de l’engagement citoyen et de la cohésion sociale, est en jeu.