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La REcyclerie à Paris : un tiers-lieu écolo bientôt transformé en pub irlandais ?

C’est une rumeur qui secoue le petit monde des tiers-lieux parisiens : La REcyclerie, haut lieu du développement durable et de la convivialité du nord de Paris, pourrait être bientôt reprise par le groupe O’Sullivans, connu pour ses pubs irlandais festifs et conviviaux. 

Ce probable changement de mains, dans un contexte de difficultés économiques récurrentes, interroge autant qu’il inquiète : si ce projet de reprise se confirme, que deviendra le symbole d’écologie urbaine, niché dans l’ancienne gare Ornano, qu’incarne La REcyclerie depuis dix ans ?

Depuis 2014, La REcyclerie, exploitée par la société Karacho, incarne une vision alternative du vivre-ensemble : cuisine anti-gaspi, ateliers de réparation, conférences sur la sobriété, ferme urbaine… Plus qu’un café-cantine, ce lieu est un manifeste vivant pour la transition écologique, chevauchant les rails de l’ancienne petite ceinture ferroviaire de Paris, en plein coeur de la ville.

Un lieu pionnier, en quête de survie

Mais derrière la façade végétalisée et les brunchs éthiques, la situation financière s’est fragilisée. Le tribunal de commerce de Paris a placé Karacho en redressement judiciaire en février 2025, avec une période d’observation prolongée jusqu’au 26 août 2025. Mais, depuis la fin de l’été, aucune information précise ne transpire. 

Quant à la maison mère de La REcyclerie, le groupe Sinny & Ooko, connu pour avoir développé plusieurs lieux alternatifs emblématiques de la capitale (la Cité Fertile à Pantin, le Pavillon des Canaux, le Bar à Bulles, la Machine du Moulin Rouge…), elle a été placée en liquidation judiciaire en mars dernier. Rien n’empêche les établissements devenus indépendants à poursuivre leur chemin, mais après avoir longtemps fait figure de modèle du développement durable festif, l’écosystème Sinny & Ooko tangue dangereusement. Innover reste un art difficile.

Une reprise envisagée par O’Sullivans

Depuis plusieurs mois, la piste d’un repreneur est donc ouverte. Selon nos sources, le groupe O’Sullivans est en négociations pour reprendre La REcyclerie. Du côté de ce groupe de pubs irlandais, rien d’étonnant. En 2017, il s’était déjà positionné pour la reprise de la Flèche d’Or dans le 20e arrondissement, autre gare reconvertie en café-concert alternatif, promettant de « préserver la musique » tout en y insufflant l’esprit des pubs anglo-saxons. Deux ans plus tard, il avait aussi redonné vie au Pub Saint-Germain, temple historique de la fête parisienne, rouvert en 2019 dans un décor soigné et cosmopolite.  

O’Sullivans revendique l’identité d’un réseau « de pubs vivants et conviviaux, ancrés dans la culture rock, la fête et la bière ». Avec parfois même une petite touche alternative qui ne serait pas pour déplaire : son établissement Le Rebel Bar, rue des Lombards, se décrit comme « l’enfant rebelle de la famille », décor rétro, tables de billard et tapas inclus. On y évoque la mémoire de Fidel Castro et Salvador Allende, venus y boire un verre à une autre époque, et une atmosphère « fière, bruyante et à l’esprit chenapan ».

Les enjeux d’une reprise

Mais, si l’opération se confirmait, le contraste serait saisissant. Avec d’un côté, La REcyclerie qui incarne la sobriété joyeuse : compost, zéro déchet, circuits courts, conférences sur la résilience, ateliers participatifs, ferme urbaine… De l’autre, O’Sullivans qui symbolise une convivialité plus bruyante, celle du pub irlandais festif, des écrans de sport et des pintes partagées jusqu’à tard dans la nuit. Si O’Sullivans s’implante sur le boulevard Ornano, il cherchera à préserver l’esprit de lien social, mais probablement débarrassé de sa dimension militante et écologique.

Quelques questions essentielles se posent donc à la REcyclerie, à commencer par le devenir des salariés. Mais aussi le maintien de l’atelier de réparation DIY, ouvert au grand public. Ou celui des conférences sur la transition écologique, qui attire régulièrement un public parisien d’habitués et qui ouvre des espaces de rencontre et d’expression pour les acteurs de l’économie sociale et solidaire. Enfin, en extérieur, la ferme urbaine installée près des rails et les expérimentations de compost sur les anciens quais de la gare vont-elles disparaître ? 

La mairie du 18e arrondissement suit le dossier de près

Sollicités par Mediatico, ni Stéphane Vatinel (La REcyclerie) ni Thomas Saint John (O’Sullivans), n’ont souhaité pour l’heure répondre à nos questions. Mais dans le quartier de la porte de Clignancourt en pleine mutation, l’animation culturelle impulsée par la REcyclerie a joué un rôle important depuis dix ans et la Mairie du 18e arrondissement suit de près l’opération.

Jean-Philippe Daviaud, conseiller délégué auprès du Maire du 18e en charge du commerce, se veut rassurant : « Nous sommes en lien avec l’exploitant actuel qui prépare une reprise du site, confirme-t-il à Mediatico, avec l’objectif de poursuivre une activité dans le même esprit que l’activité actuelle ». Et d’ajouter : « Bien évidemment, compte tenu de l’identité tout à fait singulière de la REcyclerie et de l’intérêt que son avenir représente pour la Mairie du 18e, nous suivons de près l’évolution de la situation, grâce à un dialogue régulier avec le gérant de l’établissement ».

Mais une chose semble acquise : la Ville de Paris, déjà endettée, ne devrait pas tenter de préempter le local. « Il s’agit d’une entreprise totalement privée et les murs ne sont pas la propriété de la Ville de Paris », nous a indiqué Jean-Philippe Daviaud.

Pour l’heure, le tribunal de commerce n’a pas encore tranché. Entre prolongation de la période d’observation, plan de continuation avec adossement, cession intégrale de l’activité, liquidation avec vente des actifs aux enchères… À l’heure où le juge-commissaire s’apprête à décider du sort de la REcyclerie, chère à de nombreux coeurs, c’est tout un pan de l’imaginaire parisien du développement durable qui retient son souffle.

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