« L’entreprise du XXIe siècle sera politique ou ne sera plus », affirmait en 2019 Pascal Demurger, directeur général de la MAIF, dans son ouvrage éponyme publié aux Éditions de l’Aube. Du temps de la Cop21, de Loi Pacte ou du COVID, il était déjà de bon ton de présenter l’entreprise comme un acteur écologique ou social, parfois en première ligne face aux nouveaux défis sociétaux d’un monde en pleine transformation.
Cette fois, c’est autre chose. A la veille d’élections législatives anticipées qui promettent de transformer profondément le paysage politique français, le monde de l’entreprise est peut-être en train de devenir un levier de la parole politique. Surtout quand leurs dirigeants n’ont pas peur de s’engager.
Le patronat français fait de la politique
Regardez Patrick Martin, président du Medef : il s’inquiète. La bourse de Paris a perdu 6% de sa valeur une semaine après la dissolution de l’Assemblée nationale, voilà donc le patron des patrons qui dénonce publiquement les mesures proposées par le Nouveau Front Populaire et par le RN, les jugeant « à contre-courant de toute rationalité économique. » Dette, déficits, chômage de masse et même « chiffons rouges absolus pour les chefs d’entreprises »… Mais le bilan du gouvernement sortant, lui, est applaudi. Oui, le Medef fait de la politique.
J’ai posé la question la semaine dernière au directeur général d’une grande entreprise française du secteur de la construction, en marge d’un événement sur l’emploi, l’inclusion et l’égalité des chances : êtes vous inquiet face à la situation politique, demandais-je ? En guise de réponse, il s’est attardé sur les causes du malaise des Français : selon lui, la colère des gilets jaunes – que l’on retrouvera dans le scrutin de dimanche – provient de trente années de décentralisation ratée.
Ou plus exactement d’une re-centralisation des pouvoirs au niveau régional, précise-t-il, qui a fait déchanter les Français car les contre-pouvoirs régionaux leur ont été confisqués. Tout cela, cumulé avec une grande distribution qui a fait disparaître dans les campagnes le commerce local, tout en les poussant à consommer plus et donc à grignoter encore leur pouvoir d’achat par temps d’inflation… N’en jetez plus. Ce chef d’entreprise ne parle pas de politique. Mais quand un dirigeant a une vision large, il est assurément politique.
Claquement de portes au Mouvement Impact France
Au Mouvement Impact France aussi, la politique s’invite. Brutalement. Ce mouvement patronal d’entreprises « à impact », qui entend proposer une alternative aux organisations patronales traditionnelles, a appelé clairement à voter contre le Rassemblement national : « La possibilité d’une accession de l’extrême droite au pouvoir représente un danger imminent pour notre économie et notre démocratie ». Mais faute d’avoir condamné simultanément l’antisémitisme, Philippe Zaouati, directeur général de Mirova, a claqué la porte du conseil d’administration d’Impact France. La politique politicienne s’invite au coeur du patronat !
Dans l’économie sociale et solidaire, le consensus est plus facile. Mercredi, j’animais dans un café associatif une discussion entre soixante responsables associatifs, venus dire les risques qu’ils encourent, en cas d’accession du RN à Matignon, pour leur activité, leur budget, leurs emplois, leurs bénéficiaires, leurs locaux, leur liberté d’action… Nul n’a appelé à voter pour un parti, car nul ne connaît l’opinion de ses adhérents ou de ses bénéficiaires. Mais tous ont dit la nécessité d’un front républicain. Assurément, l’ESS est une économie politique.
Les entreprises sortent-elles de leur rôle en prenant position face au RN ? Certains pensent que oui. D’autres affirment que la politique de l’autruche n’est plus de mise. Quoi qu’on en pense, l’entreprise, si longtemps décriée pour n’avoir comme objet que la recherche de profit, devient un objet politique.