Au 3e Sommet de la mesure d’impact, Diane Dupré la Tour, fondatrice des Petites Cantines, a proposé un regard renouvelé sur le rôle des lieux de lien social dans la ville et sur la façon de mesurer leur impact.
Face à la complexité des indicateurs sociaux et à l’épuisement des modèles d’évaluation classiques, les structures de l’économie sociale et solidaire inventent d’autres manières de penser leur utilité. À l’occasion du 3ᵉ Sommet de la mesure d’impact, vendredi dernier, Diane Dupré la Tour, fondatrice des merveilleuses Petites Cantines où l’on cuisine et mange ensemble à prix libre, a défendu une approche sensible et relationnelle de la mesure d’impact, fondée sur la confiance. Un concept clé pour repenser l’impact social… et la ville elle-même.
« Lorsque nous avons créé les Petites Cantines à Lyon voilà neuf ans, l’objectif initial était clair : lutter contre la solitude et retisser du lien social. Mais très vite, cette intention première a montré ses limites. Ce discours devenait contre-productif, raconte Diane Dupré la Tour. Certaines personnes ne venaient pas parce qu’elles ne se sentaient pas concernées. » Et pour cause : 58 % des Français affirment aimer la solitude, a-t-elle découvert au fil de ses recherches.
Changer de paradigme
Face à cette impasse, l’équipe des Petites Cantines a choisi de repartir de zéro. « On a demandé : qu’est-ce qui fait que tu sors de chez toi, que tu viens ici, et que tu laisses ton sac à main sur une chaise ? », raconte la fondatrice du concept. La réponse est revenue sous différentes formes, mais avec toujours le même fond : la confiance.
Mais comment mesurer la confiance, interroge-t-elle au Somme de la Mesure d’Impact ? Peut-elle d’ailleurs être un indicateur d’impact ? « C’est un pari, explique-t-elle, un pari sur la valeur de la relation. » Un pari fondé sur l’incertitude, mais que l’on peut vivre pleinement lorsque l’on se sent accueilli, reconnu, utile. La confiance devient alors à la fois point de départ et finalité de l’action.
Les 3A : Accueil, Appartenance, Action
Pour tenter de mesurer cette qualité invisible, les Petites Cantines s’appuient aujourd’hui sur trois piliers. Trois indicateurs indirects, en somme, mais essentiels :
- L’Accueil : celui des autres, mais aussi de soi-même. Pouvoir être pleinement soi, sans masque ni rôle social, est une rareté dans l’espace public. Aux Petites Cantines, cela devient possible.
- Le sentiment d’Appartenance : qui ne se réduit pas à un entre-soi. Il s’agit plutôt d’un espace où l’on peut dire « j’ai besoin de toi », exprimer sa vulnérabilité, rencontrer l’autre dans ce qu’il a de différent.
- L’Action : car sans action, il n’y a pas de confiance. « J’ai longtemps cru que l’opposé de la confiance était la méfiance, confie Diane Dupré Latour. Mais en réalité, c’est l’inaction car l’action crée la confiance. »
Au-delà des Petites Cantines, cette réflexion interroge plus largement la place des lieux de lien social dans nos villes : cafés associatifs, tiers-lieux, ressourceries, maisons de quartier… Ces espaces, souvent des structures de l’ESS animées par des bénévoles, offrent bien plus qu’un simple service. Ils proposent un cadre propice à la rencontre, à l’engagement, à l’écoute. Ils incarnent cette idée simple mais exigeante que la qualité des relations humaines est une condition de la transformation sociale.
Dans une société marquée par la défiance, les crises de l’engagement et l’individualisation des parcours, ces lieux deviennent des laboratoires d’un autre vivre-ensemble. Ils créent du commun. Et s’ils ne se mesurent pas toujours en chiffres, leur impact est pourtant réel.
Vers une société fondée sur la confiance ?
En remettant la réciprocité, la convivialité et l’écoute au cœur de leur projet, Les Petites Cantines esquissent une autre manière de penser l’impact : non pas seulement en termes de bénéficiaires ou de retombées économiques, mais en termes de qualité de la relation.
Dans leurs cuisines ouvertes, au milieu des marmites, des éplucheurs et des sourires partagés, on ne vient pas seulement chercher un repas : on vient expérimenter un autre rapport à soi, aux autres, au monde. Et à l’argent, puisque chaque repas est « à prix libre ».
Aux Petites Cantines, chacun vit son expérience. Et repart avec un peu plus de confiance.
D’autres lieux de confiance dans la ville
Les Petites Cantines ne sont pas un cas isolé. À Paris comme ailleurs, de nombreux lieux hybrides cultivent une ambiance d’accueil, de don et d’appartenance.
- Les cafés associatifs sont autogérés par les habitants. On y vient pour déjeuner à petit prix, participer à un atelier de couture ou voir un concert, mais surtout pour ne pas rester seul. Le Moulin à Café par exemple, à Paris 14e, existe depuis près de 20 ans.
- Les Tiers-lieux nourriciers, nés pendant la crise sanitaire, mêlent aide alimentaire, ateliers cuisine, partage de savoir-faire et convivialité pour renforcer l’autonomie alimentaire des territoires.
- Les centres sociaux, implantés dans les quartiers populaires, jouent depuis longtemps ce rôle d’espace tiers entre le domicile et l’espace public, où l’on peut se poser, parler, s’engager.
- Les ressourceries ou cafés réparation comme la REcyclerie (Paris 18e) proposent une consommation plus sobre, mais aussi une manière d’apprendre ensemble, de transmettre et de faire société autrement.
Dans ces lieux, on ne consomme pas seulement un service : on prend part à une communauté. C’est peut-être cela, le cœur battant de la transition sociale.