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Liquidation de la CRESS Normandie : un symptôme préoccupant pour toutes les CRESS

C’est une onde de choc pour les acteurs de l’économie sociale et solidaire (ESS) en région : oui, les CRESS qui les représentent et qui accompagnent leur développement peuvent disparaître ! Le vendredi 11 juillet 2025, la Chambre régionale de l’économie sociale et solidaire (CRESS) de Normandie a été officiellement placée en liquidation judiciaire par le tribunal de commerce de Caen. L’annonce a été confirmée par les instances dirigeantes de l’association, qui évoquent une « situation trop dégradée » pour envisager une autre issue.

Cette décision n’est toutefois pas une surprise. La CRESS Normandie a connu plusieurs mois, voire plusieurs années, de difficultés économiques récurrentes, devenues insurmontables. Fin mai déjà, la CRESS Normandie évoquait dans une note publique une « très grande dégradation financière » en 2024, l’ayant conduite à une cessation de paiement au premier trimestre 2025. Une procédure de redressement judiciaire avait alors été ouverte par le tribunal de Caen, avant que l’absence de perspectives n’impose à présent la liquidation.

Sa liquidation marque donc la fermeture d’une structure essentielle à l’écosystème régional de l’ESS, la mise au chômage d’une dizaine de salarié·es, et la fin d’une mission d’intérêt général au service des autres structures de l’ESS. Créée dans le sillage de la loi ESS de 2014, la CRESS Normandie assurait en effet la représentation des acteurs de l’ESS, la promotion du secteur, et le développement des coopérations locales.

Une crise structurelle, pas uniquement conjoncturelle

« La Normandie étant la terre d’élection de la ministre en charge de l’ESS, Véronique Louwagie, on peut espérer que cette situation sera l’occasion de traiter la question du décalage entre les missions que la loi donne aux CRESS et les moyens dévolus à celles-ci pour les accomplir », notait récemment le professeur Michel Abhervé sur son blog d’Alternatives Économiques.

Car cette liquidation ne peut être réduite à un simple accident local. Elle reflète un mal plus profond : celui d’institutions investies de missions ambitieuses, mais dotées de ressources structurellement insuffisantes qui les empêche de mettre en œuvre leur projet de territoire.

Les difficultés économiques, en effet, n’expliquent pas seules cette liquidation. Les langues se délient sur les réseaux sociaux. Des causes plus profondes apparaissent, qui touchent au fonctionnement même de toutes les CRESS de France.

Guillaume Viandier, chef de projets développement à la CRESS Normandie, énumère ainsi avec amertume les manques de la gouvernance en place : défaut de pilotage de la direction depuis six ans, absence de transparence interne, manque de considération de l’équipe salariée, animation insuffisante de la vie associative, positionnement de la CRESS comme prestataire des pouvoirs publics faute de parvenir à co-construire avec eux l’intérêt général… 

Ces questions doivent interroger toutes les CRESS. Elles ont beau être des associations indépendantes les unes des autres, indépendantes également de la structure faîtière ESS France où elles sont toutes représentées – mais qui n’a pas communiqué sur le sujet – les CRESS sont avant tout des associations, qui rencontrent des problématiques similaires à celles des autres associations : la relation employeur, l’engagement bénévole, l’animation de la vie interne et bien sûr les contraintes financières. Elles ont beau avoir hérité de missions de service public au titre de la loi de 2014, elles ne sont pas forcément plus solides que beaucoup d’autres acteurs associatifs du territoire.

Une période de transition incertaine

Malgré ce coup d’arrêt en Normandie, les parties prenantes ne baissent pas les bras. Un futur projet de nouvelle CRESS est déjà en réflexion et les adhérents affirment leur volonté de reconstruire une représentation régionale de l’ESS digne de ce nom. En attendant, la présidence de la CRESS – assurée par Pierre-Édouard Magnan – communiquera seule pour tenir les partenaires informés. La page n’est donc pas totalement tournée.

Plus largement, la liquidation de la CRESS Normandie ouvre une période d’incertitude pour les acteurs de l’ESS en région. Dans l’immédiat, la fermeture de l’association prive les entreprises sociales, les coopératives et les associations de leurs interlocuteurs habituels et d’un relais essentiel auprès des pouvoirs publics. Ce vide institutionnel devra être comblé au plus vite pour éviter que l’ESS normande ne perde en cohérence, en visibilité et en capacité d’action collective.

Au-delà de la Normandie, cette crise rappelle l’importance d’un engagement politique fort pour soutenir les structures d’accompagnement de l’ESS. Car sans moyens, les plus belles ambitions restent lettre morte. Espérons que cette alerte, venue d’une région historiquement engagée dans l’ESS, saura faire réagir l’ensemble des décideurs concernés.

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