Vous passerez peut-être Noël à Berlin l’année prochaine, grâce à une coopérative ferroviaire. Eh oui, sachez-le : l’économie sociale et solidaire vient de sauver le train de nuit Paris-Berlin. Une bonne nouvelle pour l’Europe ferroviaire, un an après l’échec de la coopérative française Railcoop.
Ce 14 décembre, en effet, le train de nuit Paris-Berlin devait disparaître : malgré un taux de remplissage de 70%, la SNCF a décidé de jeter l’éponge, faute de subventions publiques. Mais c’était sans compter sur European Sleeper, une coopérative ferroviaire belgo-néerlandaise, qui a annoncé le 12 novembre la relance de la ligne dès le 26 mars 2026. Trois allers-retours par semaine, un itinéraire repensé via les Hauts-de-France et Bruxelles, et une ambition claire : prouver qu’un modèle coopératif peut rendre le train de nuit viable, sans dépendre des aides publiques.
Un modèle économique fragile, mais audacieux
Contrairement à la SNCF, qui exigeait 5,5 millions d’euros de subventions annuelles, European Sleeper mise sur l’investissement citoyen. Depuis 2021, la coopérative a levé 7 millions d’euros auprès de 6 000 particuliers, entreprises et institutions. Pour financer le Paris-Berlin, elle a lancé une nouvelle campagne de 2,3 millions d’euros qui s’est achevée en début de semaine, avec des parts accessibles dès 140 €. « Nous voulons montrer qu’une approche entrepreneuriale et solidaire peut réussir là où les opérateurs historiques échouent », explique Chris Engelsman, cofondateur de European Sleepers. Quelques semaines après le succès retentissant de la levée de fonds de la coopérative Duralex, la réjouissance est de mise !
Pourtant, les défis sont immenses : obtenir les sillons (créneaux horaires) auprès des gestionnaires d’infrastructure (SNCF Réseau, Infrabel, Deutsche Bahn), négocier les tarifs, et atteindre un taux de remplissage de 60 % pour équilibrer les comptes. « Sans subvention, c’est un pari risqué », souligne Alexis Chailloux, du Réseau Action Climat. Le collectif Oui au train de nuit, qui a recueilli 100 000 signatures pour sauver la ligne, rappelle que sans soutien public, le risque de voir le service s’arrêter après quelques mois persiste.
La mobilisation citoyenne, clé de la relance
European Sleeper ne reprend pas l’itinéraire historique via Strasbourg, mais opte pour un tracé Paris-Bruxelles-Berlin, plus compatible avec son réseau existant. « Cela nous permet de mutualiser les coûts et d’offrir six départs hebdomadaires depuis Bruxelles », précise la coopérative. Les billets, à partir de 59 € en couchette, devaient être mis en vente à partir du 16 décembre. Une voiture-restaurant, absente au lancement pour des raisons de coûts, pourrait être ajoutée plus tard.
L’annonce de la reprise a été saluée par les usagers, qui se sont massivement mobilisés depuis septembre. Manifestations à Paris, Strasbourg, Berlin et Vienne, pétitions, interpellation des élus… « C’est la pression citoyenne qui a forcé les acteurs à réagir », estime le collectif Oui au train de nuit. Un amendement pour rétablir la subvention a même été adopté en commission à l’Assemblée nationale, mais son sort reste incertain.
Paris-Vienne, l’autre ligne menacée
European Sleeper, qui transporte déjà 230 000 passagers par an entre Bruxelles, Amsterdam et Prague, incarne une alternative crédible aux opérateurs historiques. Son modèle coopératif, basé sur la propriété partagée et la transparence, séduit de plus en plus de voyageurs en quête de mobilité durable. « Nous émettons 28 fois moins de CO₂ qu’un avion sur le même trajet », rappelle la coopérative.
Contrairement à Paris-Berlin, la ligne Paris-Vienne n’a pour l’instant aucun repreneur. Le collectif Oui au train de nuit et le Réseau Action Climat appellent à une mobilisation renforcée pour éviter sa disparition définitive. « Sans train de nuit, les voyageurs se reporteront sur l’avion, bien plus polluant », alertent-ils.
La leçon de Railcoop : entre espoir et risques
L’expérience de Railcoop, la coopérative ferroviaire française qui a dû abandonner l’an dernier son projet de ligne Bordeaux-Lyon, rappelle que le chemin est semé d’embûches. Comme nous l’écrivions sur Mediatico l’an dernier, « lancer une alternative ferroviaire sans soutien public reste un défi de taille » [lire notre article]. European Sleeper devra donc concilier idéal et réalité économique pour ne pas reproduire les erreurs du passé.
Prochaine étape : la confirmation des sillons. D’ici mars 2026, en effet, tout dépendra de la capacité d’European Sleeper à obtenir les autorisations de circulation et à convaincre les voyageurs. « Si cette ligne tient, ce sera une victoire pour tous les défenseurs d’une Europe ferroviaire et solidaire », conclut Chris Engelsman. Affaire à suivre.


