Première semaine de reprise. Première semaine aussi de crise tangible à l’heure du déconfinement. Ici, un café associatif fermé depuis deux mois n’obtiendra sans doute pas de sa banque le fameux prêt garanti par l’Etat, car son résultat d’exploitation est négatif : forcément, puisqu’il reçoit 20% de subventions pour services rendus à la collectivité. Là, une ressourcerie culturelle entièrement autofinancée vient de tripler de superficie, mais son chiffre d’affaires s’est écroulé : elle n’a droit à aucune aide de fonctionnement, car les politiques publiques soutiennent les ressourceries uniquement pour leurs investissements. Oui, l’économie sociale est solidaire est en danger. Les dispositifs de soutien de l’Etat ne lui sont pas adaptés. Un plan de relance de l’ESS est donc nécessaire, en urgence.
Ce plan de relance, Christophe Itier, le prépare depuis le 25 mars. Le Haut-commissaire à l’Économie sociale et solidaire et à l’Innovation sociale a saisi, voilà sept semaines, le Conseil supérieur de l’ESS, placé directement auprès du Premier ministre, pour recenser les besoins et les propositions de toutes les familles de l’ESS. Résultat, un document de synthèse, coordonné par le président d’ESS France, Jérôme Saddier, adopté hier par vote électronique, propose rien de moins qu’un plan de relance de l’ESS qui embrasse bien plus large que l’ESS : réclamant 20% des crédits publics consacrés à une relance globale, soit 20 milliards d’euros sur une enveloppe de 100 milliards, ce plan entend en effet contribuer à une transformation profonde de l’ensemble de notre modèle économique, sociétal et environnemental.
Un gisement de 100.000 emplois dans l’économie sociale et solidaire
Parmi les 100 mesures de ce plan de relance de l’ESS que Mediatico révèle en exclusivité, l’emploi d’abord. Le secteur sanitaire et social, majoritairement non-lucratif, est en première ligne ? Commençons par protéger les personnels, revaloriser leurs salaires, rendre leurs métiers attractifs et réorganiser notre système de soin. Mais, simultanément, d’autres secteurs de l’ESS sont totalement à l’arrêt : dans la culture, le sport, le tourisme social, l’éducation populaire… Hors de question de laisser dépérir ce qui fait la richesse de nos territoires. La réponse est un appel à la mobilisation générale.
Lançons un « Pacte pour l’emploi » pour créer 100.000 emplois, socialement et écologiquement utiles dans les territoires : dans la santé, la prévention, la solidarité entre générations. Dans la réduction des inégalités, l’animation de la jeunesse, les activités sportives, culturelles et d’éducation populaire. Dans les nouvelles mobilités, l’agriculture et l’alimentation de qualité. Dans l’insertion, le recyclage, le réemploi ou l’économie circulaire. N’en doutons pas, le gisement d’emplois est considérable dans l’ESS. Et changeons de regard aussi sur notre organisation du travail habituel, avec le télétravail comme levier pour améliorer la qualité de vie au travail et pour réduire l’empreinte carbone des salariés.
La bombe d’une comptabilité à impact social et écologique
Changer de paradigme, c’est aussi revoir notre approche de la valeur. Le Conseil supérieur de l’ESS recommande sans sourciller d’intégrer la mesure d’impact social et écologique dans la comptabilité nationale : c’est une petite bombe, car voilà qui amènerait à repenser notre approche du PIB, mais aussi 70 ans de statistiques de l’Insee, ainsi que toutes les prévisions d’investissement des entreprises ! Dans la même veine, ce document de synthèse recommande que les heures de bénévolat soient inscrites au bilan des structures de l’ESS, afin de les valoriser dans leur comptabilité et de les faire reconnaître comme composante à part entière de leur modèle économique.
Enfin, ce document affirme qu’un autre regard doit être porté sur les subventions associatives, soulignant que « les spécificités des activités économiques du monde associatif ne sont pas une incongruité, mais une caractéristique structurante de notre modèle social ». A cet égard, l’incongruité fut plutôt celle, relevée récemment avec éclat, des atermoiements publics sur la définition du « chiffre d’affaires associatif », qui devaient selon les cas ouvrir ou fermer les portes d’une aide de l’Etat aux associations, en pleine crise du Covid-19 !
L’Etat et la finance à la manœuvre
La clé de voûte de ce programme, c’est bien entendu l’Etat qui doit retrouver son rôle de stratège, de régulateur et de garant de la cohésion sociale. A lui de sécuriser les subventions, le modèle économique des acteurs de l’ESS, ainsi que leur accès jusqu’à 50% de la commande publique. A l’Etat de mettre en place une TVA réduite sur les produits socialement et écologiquement responsables. A lui d’annuler les échéances fiscales et sociales des structures en danger. Et d’accepter de dialoguer avec les employeurs de l’ESS, pour que ses décisions s’adaptent mieux aux circonstances. L’Etat, enfin, se doit d’assurer une égalité de traitement entre les acteurs de l’économie sociale et solidaire et les autres TPE-PME, en commençant par exemple par la mise en place d’un Crédit Impôt Recherche spécifiquement dédié à l’innovation sociale, portant sur 5% de la masse salariale.
New Deal ou Plan Marshall ?
La finance enfin n’est pas en reste, elle qui a le pouvoir d’investir pour le meilleur ou pour le pire, pour la prolongation du système actuel ou pour sa transition. Le Conseil supérieur de l’économie sociale et solidaire recommande ainsi tour à tour de créer un fonds de relance public-privé de 1 milliard d’euros pour sauver les entreprises à impact positif avéré, mais aussi d’autoriser les assureurs à investir dans l’ESS plutôt qu’en bourse, de développer l’assurance-vie solidaire avant 2022, de rendre le Livret A plus solidaire en permettant d’offrir nos intérêts de placement à une association, d’honorer enfin la promesse faite aux épargnants de consacrer 10% des LDDS et 10% des placements ISR à des projets solidaires…
100 mesures au total ! Presque un Plan Marshall pour transformer l’économie françaiseen une économie plus résiliente, locale, utile et responsable, qui aborde également la question des coopératives, du mécénat, du soutien aux agriculteurs, de la formation des fonctionnaires à l’ESS, du rôle des collectivités territoriales… Un « New Deal » de la transition, en somme, en phase avec les nouvelles aspirations des Français. Il reste à voir ce qu’en fera le Premier ministre.
Téléchargez l’avis complet du Conseil Supérieur de l’ESS :
L’ESS au cœur d’un « New Deal » de la transition, pour un plan de sotie de crise et de transformation de l’économie