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Réforme du RSA : 16 associations et syndicats attaquent l’État en justice

La contestation contre la réforme du RSA change d’échelle. En y consacrant son numéro de décembre, le Journal d’ATD Quart Monde remet en lumière une mobilisation d’ampleur peut-être un peu trop vite passée sous le radar de l’actualité. Car, sachez-le, seize associations et syndicats attaquent l’État contre le décret « sanctions-remobilisation » !

Le 22 octobre dernier, en effet, ce collectif a officiellement déposé un recours devant le Conseil d’État pour demander l’abrogation du décret dit « sanctions-remobilisation », pris dans le cadre de la loi Plein emploi. Un texte qui conditionne désormais le versement du RSA à des obligations d’activité renforcées, sous peine de sanctions immédiates pouvant aller jusqu’à la suppression totale de l’allocation. Un dispositif que d’aucuns ont trouvé particulièrement choquant.

« Il est temps de rappeler aux pouvoirs publics leur devoir de protéger, de sécuriser chacune et chacun, de respecter l’égale dignité et de retrouver le sens de la solidarité nationale », estime Isabelle Doresse, vice-présidente d’ATD Quart Monde. Pour le collectif, en effet, ce décret constitue une atteinte aux principes fondamentaux de notre démocratie sociale.

Un RSA sous condition, sous surveillance, sous sanction

Entré en vigueur le 1er juin 2025, le décret impose aux allocataires du RSA 15 à 20 heures d’activités hebdomadaires – pas nécessairement du travail ou du bénévolat, il peut s’agir de rédiger des lettres de candidature – et instaure un barème de sanctions inédit par sa rapidité et sa sévérité. Dès le premier « manquement », le RSA peut être réduit de 30 à 100 % pendant un à deux mois, une durée renouvelable jusqu’à quatre mois, rappelle ATD Quart Monde.

Les motifs de sanction sont larges : non-respect du contrat d’engagement, rendez-vous manqués, refus répété d’une « offre raisonnable d’emploi ». Mais la notion même d’« offre raisonnable » reste floue, laissant une large marge d’interprétation aux services de France Travail.

Les droits de la défense sont fragilisés. Une fois la sanction prononcée, l’allocataire ne dispose que de dix jours pour contester, parfois sans possibilité de rencontrer physiquement l’institution qui le sanctionne. Une procédure jugée expéditive pour des publics souvent en situation de grande vulnérabilité.

Une loi inégalitaire et discriminante selon les territoires

Le décret renvoie aussi aux départements le soin de définir leurs propres barèmes de sanctions. Résultat : des pratiques déjà hétérogènes, dénoncées comme une atteinte au principe d’égalité des citoyens devant la loi. D’un territoire à l’autre, les conséquences d’un même « manquement » peuvent être radicalement différentes.

Les associations alertent également sur une discrimination renforcée à l’égard des personnes éloignées du numérique. Parmi les critères de contrôle figurent désormais la mise à jour du CV en ligne ou la capacité à répondre directement aux offres sur la plateforme de France Travail. Pour des publics peu équipés ou peu à l’aise avec le numérique, le risque de sanction est mécaniquement accru.

France Travail est passé de l’accompagnement au contrôle de masse

La contestation ne vient pas seulement des associations de lutte contre la pauvreté. Les syndicats de France Travail dénoncent eux aussi une profonde rupture de modèle, relate ATD Quart Monde : « Ce texte permet de sanctionner plus, plus fort et plus vite. On considère que les allocataires sont soit des fraudeurs, soit des personnes qui ne veulent pas travailler. Pour nous, le chômage n’est jamais un choix, c’est une situation subie », alerte Lydie Nicol, secrétaire nationale de la CFDT.

Même analyse du côté de la FSU : « On est passé de l’accompagnement des personnes les plus en difficulté à un traitement de masse, sans outils ni moyens pour leur trouver de vraies solutions », déplore Vincent Lalouette, secrétaire général adjoint et lui-même conseiller à France Travail.

Les agents sont aussi confrontés à une déshumanisation croissante des procédures, avec la montée en puissance de plateformes de contrôle et le recours à des outils d’intelligence artificielle, comme Chat FT, pour l’analyse automatique des dossiers. « On ne connaît plus les personnes dont on coupe le RSA », témoigne Luc Chevalier (SUD emploi). « Cela renforce l’anonymat et la brutalité du système. »

Des allocataires plongés dans le flou et l’angoisse

Sur le terrain, la réforme génère peur, incompréhension et stress permanent. Les militantes et militants Quart Monde recueillent des témoignages qui disent tous la même chose : l’insécurité sociale a changé de camp. Bernard, après 25 ans d’usine, a suivi toutes les recommandations de France Travail. En formation, il manque un rendez-vous avec sa conseillère : il sera menacé de retrait de RSA pour « recherche insuffisante ». « Cela me panique », confie-t-il.

Corinne, ancienne aide-soignante reconnue en invalidité, élève seule quatre enfants dont un en situation de handicap. Bien qu’elle ne puisse matériellement assurer un volume d’activité important, on lui a imposé quinze heures hebdomadaires, qu’elle a réussi à ramener à cinq heures après négociation. « Je passe mon temps à faire défiler des offres d’emploi sur un ordinateur. Je voudrais devenir secrétaire médicale, mais aucune formation ne m’est proposée », raconte-t-elle, épuisée.

Une réforme dénoncée jusqu’aux Nations Unies

Partout, le même sentiment revient : les situations individuelles ne sont plus prises en compte, au profit d’une logique purement administrative. Mais le décret « sanctions-remobilisation » n’est pas seulement contesté par la société civile française. Il fait l’objet de critiques sévères d’instances nationales et internationales.

La Commission nationale consultative des droits de l’Homme et le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion ont alerté dès l’été. En août, le rapporteur spécial de l’ONU sur l’extrême pauvreté, Olivier de Schutter, a estimé que la réforme accroît le non-recours aux droits et alimente la défiance envers les institutions. Dans une tribune au Monde, il a dénoncé une « guerre contre les pauvres plutôt que contre la pauvreté ». Dans un courrier officiel adressé à l’État français, il souligne que la France pourrait mettre en péril ses obligations internationales en matière de droits humains.

Un recours juridique pour défendre la protection sociale

Derrière le recours des associations et des syndicats au Conseil d’État, l’enjeu dépasse le seul RSA. Il s’agit d’un combat pour la philosophie même de la protection sociale. « On ne raisonne qu’en termes de coûts et de budgets, alors qu’on devrait se demander quelle société nous voulons », rappelle Nathalie Tehio, présidente de la Ligue des droits de l’Homme. « Une société qui respecte les droits humains et le principe de solidarité. »

Pour Agnès Aoudaï, coprésidente du Mouvement des Mères Isolées, l’espoir est clair : « Si nous obtenons l’abrogation de ce décret, ce sera un soulagement pour des millions de personnes privées d’emploi, et pour les travailleurs de France Travail eux-mêmes. »

Derrière cette bataille juridique se joue une redéfinition profonde du sens du RSA : est-il encore un droit fondamental garantissant un minimum de dignité, ou devient-il progressivement un outil de contrôle social conditionné à l’obéissance administrative ? En choisissant la voie des sanctions rapides et massives, l’État a ouvert pour l’heure un cycle de conflictualité sociale durable.

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