EDITOS

Service militaire ou Service civique : quelle conception de l’engagement pour la jeunesse ?

Notre chef de guerre Emmanuel Macron vient de faire un cadeau pour le moins schizophrène à la jeunesse. Il proclame la renaissance du service militaire au nom de l’engagement pour la Nation, tout en étranglant le service civique et en signant l’arrêt de mort du SNU. Un coup de barre à droite toute, tant pour des raisons géopolitiques que budgétaires. Comment expliquer, sinon, que les crédits consacrés à l’emploi des jeunes, à leur insertion, à leur apprentissage, à leurs missions locales, à leur mentorat, aux aides au logement, à l’éducation populaire, aux colos apprenantes… soient partout en chute libre dans le projet de budget 2026 ?

Mais dormez tranquilles, parents craintifs : vos jeunes sont en de bonnes mains. Non seulement le nouveau service militaire sera exclusivement volontaire, mais l’armée va les former, les loger, les nourrir. Donc pour l’emploi, haro contre l’assistanat. Mais pour la guerre, Mère-patrie est de retour. 

Bien sûr, les jeunes resteront sur le sol national, a promis Emmanuel Macron jeudi dernier. En est-on vraiment certain ? « Il faudra bien accepter de perdre nos enfants », disait voilà quinze jours le chef d’État-major des armées, Fabien Mandon, devant les maires de France. Que faut-il croire, ou qui ? En bon humaniste, pacifiste, sans-frontiériste et sans doute un peu écolo-wokiste, je m’interroge forcément.

Les avantages du service militaire volontaire

Toujours est-il qu’aussitôt après l’annonce d’Emmanuel Macron, j’observais que les sites internet du ministère des Armées ou celui de la Marine nationale étaient déjà à jour, fin prêts à recruter. Quelle réactivité, quel professionnalisme, nous pouvons être fiers de notre armée. Avec de belles pages détaillant les splendides opportunités offertes par l’armée aux jeunes Français, garçons et filles : 

  • une solde de 800 € brut par mois non imposable, logé nourri blanchi (grave bien) ;
  • une carte SNCF qui offre 75 % de réduction sur les lignes nationales (trop stylé) ;
  • et l’intégration du service national dans Parcoursup, comme année de césure (le kif). 

Ce nouveau « service militaire volontaire » propose donc une immersion de dix mois dans l’armée, dont un mois de formation initiale. Aucun envoi en opération extérieure, mais une réelle expérience structurante : discipline, cohésion, savoir-faire opérationnels. Mais cette promesse militaire est assortie d’un désengagement simultané sur le terrain civil, civique et social, là où des centaines de milliers de jeunes découvrent le sens du collectif et des solidarités. 

Le paradoxe Macron : relancer le militaire, amputer le civique

Pour commencer, le discours du chef de l’État a tout simplement enterré le Service national universel (SNU). « Ce service à vocation plus civique que militaire était l’un des projets qui tenaient le plus au cœur d’Emmanuel Macron et il s’est révélé être un échec. Malgré d’innombrables promesses de généralisation, le SNU n’a jamais rencontré le succès escompté et n’est jamais devenu général ni obligatoire. Mais le président de la République s’est bien gardé d’évoquer un échec », relève un confrère du quotidien Maire Info.

Quant au dispositif du Service civique si cher à l’économie sociale et solidaire, qui a vu près d’un demi-million de jeunes s’engager depuis 2010 après avoir été lancé et expérimenté par l’association Unis-Cité, il voit à présent son budget fondre comme neige au soleil et le nombre de postes ouverts aux jeunes se réduire en conséquence. Le débat parlementaire n’est pas encore terminé sur le sujet et rien n’est encore arrêté, mais nous avons compris le jeu des vases communicants. Le budget de la Défense nationale est ultra-prioritaire, il en va désormais de la mécanique des fluides budgétaires.

L’engagement, un levier pour la cohésion nationale

Le service civique, pourtant, n’est pas un luxe. Il est une réponse politique et sociale à un monde fragmenté. Plus de 150 000 jeunes s’y engagent chaque année auprès d’associations, d’écoles, de mairies, de collectivités, ou d’organisations sociales et environnementales. 

Dans une tribune au « Monde », les anciens ministres Gil Avérous, Geneviève Darrieussecq, Patrick Kanner et Prisca Thevenot ainsi que le président de l’Institut de l’engagement, Martin Hirsch, exprimaient fin novembre leur attachement au service civique, menacé d’une réduction de moyens par le projet de loi de finances pour 2026 (lire la tribune).

Nos jeunes accompagnent des personnes âgées isolées, soutiennent des élèves en difficulté, participent à des missions de transition écologique et de santé publique. Ils apprennent la force du collectif, découvrent la citoyenneté concrète, ils expérimentent, ils découvrent leur pouvoir d’agir, ils observent même à quel point leurs actions, finalement, comptent pour autrui. 

Ainsi, la baisse brutale du budget du service civique va fragiliser des jeunes déjà frappés par la précarité et par la détérioration de la santé mentale, pourtant grande cause nationale 2025. Cette baisse budgétaire annoncée est aussi un coup porté à l’apprentissage du vivre ensemble et de la responsabilité civique. Enfin, elle fragilise les associations et les collectivités aux budgets déjà exsangues, qui devront, une fois de plus, faire davantage avec moins de moyens.

Un enjeu démocratique et républicain

L’engagement civil est invisibilisé et sous-doté à l’heure où le service militaire volontaire attire la lumière médiatique et politique. Cela pose une question fondamentale : quelle conception de l’engagement la France, ou plutôt les Français, souhaitent-ils promouvoir ? 

La France a toujours été fière de ses jeunes engagés. Elle doit les soutenir, et non les brider. Associations, parlementaires, élus, citoyens : il est urgent de défendre le service civique, de garantir son financement, de réaffirmer que l’engagement pour l’intérêt général est un pilier de notre République.

Sinon, le retour du service militaire risque de n’être qu’une façade : un engagement encadré, rémunéré et visible, tandis que l’expérience civique et sociale, invisible mais essentielle, s’éteint. La cohésion nationale ne se résume pas à la discipline militaire ou à la formation technique. Elle s’apprend dans l’expérience du collectif au quotidien. 

Où placer l’ambition de la France ?

Si le service militaire a un rôle à jouer, il ne doit pas remplacer les expériences civiques de proximité, mais les compléter. La République a besoin d’engagement sous toutes ses formes. Il est donc temps de remettre les relations sociales au centre des arbitrages budgétaires. Contrairement aux choix budgétaires décidés à l’Elysée, les jeunes ne devraient pas avoir à choisir entre servir la Nation et servir la société. Ils devraient pouvoir faire les deux, en conscience.

Aujourd’hui, l’engagement civique se meurt, au profit d’un engagement national. Tiens, non… je devrais réécrire cette phrase : 

Aujourd’hui, l’engagement humaniste se meurt, au profit d’un engagement nationaliste. À dix-huit mois d’une élection présidentielle où Jordan Bardella est donné gagnant dans tous les cas de figure, cela pose vraiment question. Croyez-vous qu’Emmanuel Macron ait aujourd’hui plus peur de Vladimir Poutine… ou de Jordan Bardella ?

Partagez cet article :