Le programme Les Boucles organise la rencontre entre entrepreneurs de l’économie circulaire et solidaire, grandes entreprises et collectivités. Pour que l’innovation se mette au service du changement, plusieurs types de coopération se mettent en place.
Entreprises sociales, collectivités territoriales, grands groupes : début mars, la Métropole de Lyon, Ronalpia et SUEZ ont réuni une centaine de personnes autour de l’économie circulaire. L’objectif de cet événement « Entrez dans Les Boucles » était de faire se rejoindre les besoins de chacun afin de mettre en place des coopérations. Il s’agissait de l’un des points d’orgue de l’accompagnement Les Boucles que les trois organisateurs proposent à une quinzaine d’entrepreneurs de l’économie circulaire et solidaire.
Pour la collectivité, une mission de service public
Pour les institutions publiques présentes à l’événement, collaborer avec des acteurs innovants concourt à remplir des missions de service public qui leur incombent. « Les matières premières font courir à la société des risques liés à leur raréfaction, à la volatilité de leurs prix autant qu’à la prolifération des déchets, déclare Emeline Baume, vice-présidente de la Métropole de Lyon. Pour que les entreprises de l’économie classique tiennent, on a besoin de travailler non seulement l’éco-conception, mais aussi la circularité des matériaux. »
A cette fin, la Métropole cherche à développer l’innovation dans l’économie circulaire. Pour cela, elle a adopté trois modes d’action : des financements directs, la mise à disposition de locaux temporaires pour tester des modèles, et l’accompagnement à travers Les Boucles.
Retricoter la chaîne de valeur
Car si la compétence déchets incombe à la Métropole, certaines problématiques d’économie circulaire sont à la croisée des chemins entre plusieurs acteurs de terrain. Ainsi, l’épineuse question des déchets encombrants, où interviennent Métropole, bailleurs sociaux, copropriétés… Pour la société, cette question représente un problème dont le volume annuel remplirait le stade de Gerland. Une véritable « mine urbaine » pour Simon Mirouze, directeur délégué au groupe associatif Envie. Mais pour en faire une ressource, encore faut-il « retricoter la chaîne de valeur ». Pour cela, deux éléments sont nécessaires : créer un outil industriel et cultiver la coopération.
Après de multiples trajets en camion-benne passés à étudier la question, Simon Mirouze a créé Iloé, pôle métropolitain d’économie circulaire, une Scic créée avec les collectivités et les bailleurs sociaux. « Il faut s’asseoir tous autour d’une table aux côtés de chacun des acteurs concernés, et certainement pas en face pour se renvoyer les responsabilités ! » Partant du constat commun qu’il était « intolérable de voir ce volume partir à l’enfouissement pour nos enfants », il a fallu passer beaucoup d’énergie pour changer de logique : « Quel équilibre économique ? Quelle méthodologie ? Quel dialogue ? ». Puis traquer les coûts cachés de l’enfouissement afin de redonner un prix à la ressource. Résultat : aujourd’hui, 80 % des encombrants récupérés par les bailleurs sociaux du grand Lyon sont recyclés.
Innover et changer d’échelle
Ce résultat encourage la collectivité à s’attaquer à d’autres gisements. Voici quelques mois, les métropoles de Lyon et de Saint-Étienne sont entrées au capital d’une autre Scic, Rebooteille, accompagnée dans sa croissance par Les Boucles, qui a pour ambition de remettre la consigne du verre au goût du jour. « La forme coopérative permet de mettre toutes les parties prenantes dans la boucle : Ninkasi, Biocoop, des salariés associés, des collectivités », explique Bastien Carron, co-porteur du projet. Un atout pour faire face aux investissements assez lourds que nécessite le projet.
Mais la plus grande marge de progression réside dans ces fameux déchets qu’on ne produit pas. Là aussi, l’économie sociale et solidaire porte des innovations que les collectivités et les grands gestionnaires ont le pouvoir de porter à grande échelle. Pour substituer l’usage à la possession, Yann Lemoine expérimente Les Biens en commun, un service de location d’appareils domestiques dans des casiers connectés installés dans les halls d’immeubles. C’est avec l’aide des collectivités et des bailleurs sociaux qu’il ambitionne d’équiper 80 % des immeubles lyonnais.
Un agrégateur de solutions
Dans le secteur privé, certaines entreprises innovent aussi en s’associant avec des entrepreneurs qui développent des solutions complémentaires ou en mutualisant leurs moyens pour aller plus loin dans les boucles d’économie circulaire. A commencer par des acteurs historiques du déchet.
Chez SUEZ, les coopérations innovantes d’économie circulaire et solidaire sont partie intégrante de la stratégie d’entreprise. « Quand on traite des déchets industriels, on ne se contente plus d’aller chercher des bennes », explique Céline Lassort, responsable du Pôle Entrepreneuriat à la Direction de l’innovation sociale. « Nous coconstruisons des solutions locales circulaires ».
Ainsi, le Groupe multiplie ses connexions aux entrepreneurs qui contribuent aux filières locales de l’économie circulaire et se positionne en véritable « agrégateur de solutions » pour les intégrer à ses réponses aux appels d’offres. C’est pourquoi, à Lyon avec Les Boucles, mais aussi à Bordeaux et Paris avec des programmes similaires dédiés à l’économie circulaire, il accompagne la montée en compétence d’un vivier d’entreprises innovantes et développe des terrains d’expérimentation avec celles qui présentent des complémentarités.
Un changement de culture
Mais pour cela, « il faut parler le même langage », estime Céline Lassort. Son collègue Benoît Bonello, directeur de l’innovation sociale, se souvient de débuts compliqués au démarrage d’un partenariat avec un acteur social. « La première fois que je les ai rencontrés, on ne se comprenait pas », se souvient-il. « Nous avons travaillé ensemble pour comprendre les enjeux de chacun. Il faut que ce soit gagnant-gagnant. »
Il ne faut donc pas sous-estimer la dimension culturelle de ces changements de pratiques. Pour Paul Flurin, qui avec Tizu crée des meubles design avec des déchets de mobilier et de vieux textiles, « beaucoup de choses sont à déconstruire mentalement. Les projets industriels sont traités de façon linéaire, les traiter de façon circulaire n’est pas si différent que ça. Il y avait autrefois des exemples d’économie circulaire qui étaient là par opportunité. Il est temps de recréer ces opportunités. »
S’allier pour répondre à de nouvelles demandes
Ces opportunités arrivent quand les plus grands acteurs s’adaptent à l’évolution des enjeux. Non content de livrer le courrier, le groupe La Poste a su se réinventer en mettant la RSE au cœur de sa stratégie. Dès 2014, il a lancé « L’Alliance Dynamique » avec des acteurs de l’économie sociale et solidaire de toute la France. Objectif : co-construire des offres communes innovantes pour répondre aux besoins des territoires, entre autres dans le domaine de l’économie circulaire : réemploi des vêtements des postiers, reconditionnement des vélos…
Autre opportunité, se placer en amont des filières pour faire d’un déchet une ressource qui répond à une demande émergente des consommateurs. Une manière de boucler la boucle. Maltivor part du constat que les brasseurs de bière produisent 70 000 tonnes par an de drèche, un déchet industriel que l’entreprise transforme en une farine riche en goût autant qu’en fibres. « Aujourd’hui, les produits que nous proposons intéressent des industriels de l’agro-alimentaire désireux d’améliorer le nutri-score de leurs produits », indique Lola Bonnin, co-fondatrice de l’entreprise.
Finalement, préserver nos ressources serait aussi simple que de passer de la ligne à la boucle ? Un changement est bien à l’œuvre, il se traduit quand les acteurs publics comme privés vont chercher l’innovation dans l’économie sociale et solidaire. Pour cela, des interfaces de dialogue et de soutien sont nécessaires. C’est là tout l’objet des Boucles.