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Budget 2026 : C’est François Bayrou que l’ESS doit convaincre, et vite !

Le tollé est général. C’est un scandale d’Etat. Un motif légitime de soulèvement national. Dans tout le pays, une immense colère vient d’envahir les personnes les plus engagées au service des autres. Celles qui n’ont pas encore renoncé à leur conscience civique et citoyenne. Les acteurs de l’économie sociale et solidaire. Le monde de la recherche scientifique et médicale. Les sauveurs du patrimoine culturel et architectural. Les financeurs des circuits de solidarité. Les investisseurs dans la transition juste. Les insatiables de justice fiscale Et, pardon, j’en oublie tant !

Car que s’est-il passé ? Il vient de se produire un grand télescopage. D’un côté, Bercy prépare un gigantesque séisme philanthropique dans le budget 2026, nous allons y revenir. De l’autre, le ministre de l’Économie est incapable de justifier, devant les Sénateurs, le bon emploi des subventions publiques qu’il verse chaque année aux grandes entreprises. Pourtant, c’est lui qui exige des autres ministères, donc de tous les Français, 40 milliards d’euros de coupes budgétaires supplémentaires pour redresser les finances du pays. Monsieur le Premier ministre, rien ne va plus : il faut changer d’idéologie, il faut changer de tête à Bercy !

Oui, la commission d’enquête sénatoriale rend aujourd’hui-même son rapport sur l’utilisation des aides publiques aux grandes entreprises, dont les bonnes feuilles ont été révélées en fin de semaine par le journal Le Monde. Cette commission d’enquête transpartisane (PCF + LR) a réalisé six mois d’auditions, 70 interrogatoires des plus grands PDG et de questions précises adressées tant aux services de Bercy qu’au ministre de l’Économie lui-même. Au final, que de surprises !

Le constat dressé est simple, clair, sans équivoque : attribution des aides sans transparence, manque total d’évaluation, absence de contrôle par Bercy, inexistence de clauses exigeant soit l’utilité de l’argent public à l’aune de critères précis, soit la restitution des aides si les engagements ne sont pas tenus. Nos 1,5 million d’associations sont logées à bien pire enseigne quand elles reçoivent 5000€ de subventions, que les entreprises objet de cette enquête qui reçoivent beaucoup plus d’argent de l’État. 

150 milliards d’euros par an pour les entreprises

Mais de combien d’entreprises parle-t-on ? La commission s’est concentrée sur celles qui comptent plus de 1000 salariés et qui réalisent plus de 450 millions d’euros de chiffre d’affaires. Selon les chiffres de l’Insee et du ministère du Travail, les sénateurs se sont donc penchés sur peu ou prou 300 grandes entreprises et 1.460 ETI de plus de 1.000 salariés, soit 1.760 entreprises.

Et de combien d’argent parle-t-on ? A cette taille d’entreprise, la subvention est supérieure à 5000€, n’en doutez pas. Pour l’année 2023, les Sénateurs ont chiffré le montant total de ces aides publiques à 211 milliards d’euros. Oui, milliards ! Oui, pour une seule année ! Oui, pour 1.760 entreprises ! Soit près de 120 millions d’euros par entreprise, avec de grands écarts, évidemment. Mais peut-on identifier les montants entreprise par entreprise ? Et bien non !!! Comprenez-vous mieux, tout à coup, les logiques de lobbying des entreprises ?

Cela fait-il vraiment beaucoup d’argent ? Quand les chiffres sont trop grands, on s’y perd. Alors retenez simplement que, dans le budget de la France, que Bercy connaît par coeur, les aides publiques aux entreprises privées sont supérieures au budget de la Santé, au budget de l’Éducation nationale, au budget désormais sacralisé de la Défense, et même au remboursement de la dette qui croyait être le premier budget de l’Etat… Et bien non. La plus grosse dépense publique de la France, en réalité, est fléchée vers des entreprises privées ! En pleine crise des finances publiques !!! 

Bercy veut étrangler les associations, les fondations et les Français

« Les aides publiques peuvent-elles servir à verser des dividendes ? » La question aurait paru polémique par temps calme. Elle est tout à coup fortement légitime. Elle venue de la commission sénatoriale, interrogeant graphiques à l’appui l’augmentation des subventions publiques et l’augmentation simultanée des dividendes versés aux actionnaires. Le PDG de Carrefour, Alexandre Bompard, en est resté bouche bée. La question reste donc ouverte. Et le ministre de l’Économie Eric Lombard se devra d’y répondre : Bercy remplit-il les poches des actionnaires, au détriment des Français ? Il ne suffira pas d’un simple « non ». Nous attendons la preuve du contraire !

Nous voilà donc arrivés au grand télescopage. Car, dans le même temps, Bercy veut faire les poches des Français et étrangler les associations et les fondations. Dans l’objectif de faire 40 milliards d’euros d’économies budgétaires, il multiplie les discours sur le poids de la fiscalité en France, sur l’effet néfaste d’une économie administrée, sur les niches fiscales coûteuses et injustifiées, à commencer par celles sur le don et le mécénat. Un discours empreint d’une idéologie très marquée par l’ultra-libéralisme, qui ne défend en rien l’intérêt des Français. Qui ne demande jamais la contribution des plus riches, des grandes entreprises, des milliardaires, des retraités aisés pourtant favorables à contribuer davantage. Cela doit changer !

Voici donc pourquoi l’ESS est en colère : Ce vendredi, Le Parisien révélait le contenu du rapport commandé par le gouvernement fin 2024 à l’Inspection Générale des Finances, qui visait à trouver 1 à 3 milliards d’euros dans les niches fiscales. Selon Martin Bobel, conseiller au CESE et vice-président du Mouvement Associatif, « Bercy avance des pistes alarmantes », dont 450 millions à 1 milliard d’euros de réduction budgétaire sur le régime des dons et du mécénat. Allons bon ! Lors de la Conférence des financeurs de l’ESS, Bercy avait laissé fermé le robinet de l’argent public, ouvrant grand la porte au développement des financements privés. Mais voilà qu’il serre à présent la vis sur les financements privés, c’est un non sens !

La colère noire des familles de l’ESS

France Générosités a réagi immédiatement : « Si ces propositions étaient retenues, elles auraient pour conséquence de diminuer de 1 à 1,5 milliard d’euros le montant des dons aux associations et aux fondations. Ce qui amputerait considérablement leurs actions au service de nos concitoyens : aide alimentaire, recherche scientifique et médicale, accompagnement social, éducation, protection de l’environnement, solidarité internationale ».

Le Centre Français des Fonds et Fondations enfonce le clou, estimant ces recommandations comme « dangereuses » pour notre cohésion sociale : « Réduire les mécanismes qui contribuent à l’intérêt général, c’est oublier que la générosité n’est pas une dépense mais un investissement. Chaque fois que l’incitation fiscale a changé par le passé, il y a eu une baisse durable des dons collectés. Les personnes vulnérables et les classes moyennes en ont été directement impactées. Il y a bien une urgence : elle consiste à stabiliser le cadre fiscal, plutôt qu’à détricoter l’existant en prenant un lourd et dangereux pari sur l’avenir ».

« S’agit-il d’inculture ou de pyromanie », s’interroge Elsa Da Costa, directrice générale d’Ashoka ? Elle cite France Bénévolat et rappelle que 50% des Français bénéficient de l’action des associations : celles-ci assurent le maintien du lien social, pallient les manquements de l’Etat, et expérimentent des actions qui peuvent devenir des politiques publiques, comme le service civique, les grandes écoles du numérique, l’indice de durabilité de l’électroménager, l’entrepreneuriat dans les quartiers, le mentorat pour les jeunes… En 2012, Ashoka France évaluait à 5 milliards d’euros par an les coûts évités à la société grâce à l’action associative !

Citons encore l’entrepreneur social Benjamin Blavier : « S’attaquer à la générosité des français, ce n’est pas seulement mettre à mal les associations et les fondations, c’est aussi viser certains services publics. Les universités et grandes écoles bénéficient du mécénat pour financer des chaires, des bourses et des équipements de pointe. Le mécénat est aussi vital pour nos institutions culturelles publiques et les musées nationaux comme le Louvre. Le mécénat est crucial pour des investissements spécifiques à l’Hôpital public. Qui, à Bercy, a chiffré le coût réel de cette baisse des incitations aux dons pour le service public » ?

François Bayrou, l’arbitre ultime

Le journaliste Vincent Edin interpelle ses lecteurs : « Qui a déjà dirigé une association ou une structure publique sait qu’on doit rendre des comptes sur chaque ligne budgétaire, qu’on peut vous faire suer pendant des heures pour 10 000 euros avec le soupçon que vous vous soyez acheté un écran plat ou parti en voyage. Là, on les prend la main dans le pot de confiture avec deux fois le budget de l’éducation nationale (82 milliards….) utilisés principalement pour enrichir des rentiers oisifs qui investiront ce pognon dans des projets écocidaires ou en rachetant des immeubles pour aggraver la crise du logement. On a pris la Bastille pour moins que ça ».

Avec Bercy, la confiance est définitivement rompue. C’est à François Bayrou qu’il faut s’adresser. Les représentants de l’ESS n’ont plus qu’une seule carte à jouer : ils doivent contourner Bercy et convaincre Matignon. Convaincre qu’ils sont essentiels, qu’ils coûtent moins cher, qu’ils sont bien plus rentable à long terme que n’importe quelle politique néo-libérale, que la hausse des impôts n’est un gros mot que lorsqu’elle est idéologisée, et que la justice fiscale est la seule voie entendable par les Français.

François Bayrou présentera la semaine prochaine son projet de budget 2026. S’il confirme ces orientations, la situation sera intenable dans les associations, sur les territoires, et dans l’arène politique. Au risque peut-être de le faire tomber le gouvernement. Et d’en avoir un pire encore ?

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