L’économie sociale et solidaire se voudrait exemplaire en matière d’égalité, de justice sociale et de respect de la personne, mais une enquête flash d’Harmonie Mutuelle vient écorner cette vision : le sexisme y est bien présent, souvent banalisé, parfois ignoré, et trop rarement combattu. C’est tout le paradoxe d’un secteur fondé sur des valeurs humanistes : comment peut-il tolérer des comportements qui les contredisent ?
L’enquête menée au printemps 2025 auprès de 2 375 professionnels de l’ESS révèle un malaise profond. Deux-tiers des répondants déclarent avoir été témoins de propos ou d’attitudes sexistes au cours de l’année écoulée. Des “blagues” sur les femmes, des remarques sur l’apparence, des assignations de rôles selon le genre… Ces micro-agressions du quotidien, qui relèvent du sexisme ordinaire, trouvent aussi leur place dans un secteur pourtant largement féminisé.
L’ESS confrontée au sexisme ordinaire
C’est là tout le paradoxe. L’ESS emploie près de 70 % de femmes, notamment dans les secteurs du soin, de l’aide sociale, de l’éducation populaire ou de la culture. Mais cette forte présence féminine ne protège pas les salariées contre les discriminations de genre. Elle les expose même parfois davantage à des comportements paternalistes, condescendants, voire hostiles, que l’enquête qualifie d’“agissements sexistes”.
Derrière ces constats, ce sont des logiques bien connues qui se rejouent : silences dans les équipes, impensés dans les politiques RH, faible mobilisation des directions, manque de formation des encadrants. Près de 9 % des répondants disent n’avoir jamais parlé des situations sexistes vécues. Et quand ils ou elles en parlent, c’est davantage entre collègues qu’auprès de la hiérarchie.
L’écart entre valeurs affichées et pratiques vécues saute aux yeux, car si l’ESS revendique un modèle plus éthique, plus humain, elle peine à traduire ces engagements dans ses relations professionnelles. Et cette dissonance est d’autant plus prégnante que de nombreuses structures n’ont pas les moyens, ni toujours les outils, pour instaurer une véritable politique de prévention.
Une exigence d’exemplarité à reconstruire
L’étude d’Harmonie Mutuelle, qui s’accompagne de recommandations concrètes, appelle à un sursaut. Il ne s’agit pas seulement de former, d’alerter ou de désigner des référents. Il s’agit d’accepter que l’ESS, aussi vertueuse soit-elle dans son ambition, n’échappe pas aux rapports de pouvoir ni aux reproductions systémiques des inégalités de genre. Et que seule une reconnaissance claire de ces failles permettra de les corriger.
Dans un contexte où le travail associatif est souvent précaire, sous-payé, sous-financé, la lutte contre les violences sexistes semble parfois reléguée au second plan, alors que c’est un pilier de la qualité de vie au travail. Et de la crédibilité du projet politique de l’ESS dans son ensemble.
Ce que met en lumière cette enquête, ce n’est donc pas simplement la persistance de comportements sexistes. C’est l’incapacité structurelle d’un grand nombre d’organisations à faire de l’égalité une réalité concrète. Le secteur ne manque pas de valeurs. Il manque en revanche d’outils, de moyens, de volonté politique — et peut-être aussi de courage — pour affronter ce qu’il refuse trop souvent de voir.
Si l’ESS veut rester un modèle, elle doit se regarder en face. C’est peut-être douloureux, mais c’est aussi le prix à payer pour incarner réellement les principes qu’elle défend. Car à l’heure où les grandes entreprises s’emparent des questions d’égalité, parfois opportunément, le secteur de l’ESS ne peut se permettre d’être à la traîne.