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Budget 2026 : Bayrou réhabilite l’ISF, mais aucun signe favorable à l’ESS

C’était un bon discours. Un budget de cohésion qui, en temps normal, devrait faire Nation. François Bayrou a proposé, hier à Matignon, un contrat aux Français, fondé sur l’acceptation des efforts à consentir par chacune et chacun d’entre nous. À commencer par les plus fortunés. Il n’a pas parlé de l’explosion de la pauvreté, ni des souffrances du monde associatif. Mais il a parlé de réhabilitation du travail, d’équité fiscale, d’enjeu climatique, de la santé des Français. Et de la défense, bien sûr. Certes, le gouvernement pourra tomber à l’automne, lors du vote du budget. Mais il pourrait aussi survivre, si les groupes politiques acceptent de voir dans cette proposition un plan de compromis, dans l’intérêt supérieur de la France.

Très vite, Premier ministre a égrené les chiffres : « La dette de la France atteint 3.300 milliards d’euros, 114% du PIB. C’est plus que la totalité de ce que l’on produit en une année. La charge de la dette devient un poste budgétaire écrasant : en 2029, si on ne change rien, elle sera de 100 milliards d’euros par an, le premier poste budgétaire de l’Etat. Chaque seconde, la dette de la France augmente de 5.000 euros, nous avons le devoir de prendre nos responsabilités. C’est la dernière station avant la falaise et l’écrasement par la dette ». Voilà, le décor est planté. 

La mesure la plus symbolique est éminemment politique : François Bayrou réhabilite l’ISF ! Sans le nommer bien sûr, puisqu’Emmanuel Macron n’en veut pas et qu’il en a fait un totem. Mais en politique, c’est donnant-donnant. Le Président veut plus de budget pour la défense, mais sans augmenter la dette ? Il faut donc faire contribuer ceux qu’il a privilégiés depuis 2017. « Tout le monde devra participer à l’effort », a assuré François Bayrou, qui souhaite agir « avec justesse et justice ». « Un effort particulier sera demandé à ceux qui peuvent contribuer davantage », a donc affirmé le Premier ministre. 

Les plus riches d’un côté, les profiteurs de l’autre

Le voilà qui cite tour à tour « les niches fiscales et sociales qui profitent aux plus aisés », « les grosses retraites », « l’optimisation abusive des patrimoines non productifs » et, enfin, « une contribution de solidarité des plus fortunés, pour faire participer à l’effort national des plus hauts revenus ». Les députés l’appelleront comme ils voudront. Mais l’ISF est de retour. Et c’est heureux.

En matière de fiscalité encore, celle sur les dons et le mécénat est préservée : François Bayrou n’en a pas parlé. Une nouvelle fois, le lobbying du Centre Français des fonds et Fondations, pas plus tard que la semaine dernière, a permis d’éviter l’assèchement de ce circuit essentiel au financement des associations, de la recherche médicale et du patrimoine culturel. 

Puis viennent les accusations contre les profiteurs, qui satisferont l’électorat de droite et d’extrême-droite. La lutte contre la fraude sociale et fiscale d’abord, qu’il entend mieux recouvrer. La fraude aux aides publiques ensuite, avec le CPF ou MaPrimeRévov en ligne de mire. La fraude aux dépenses de santé aussi. Au bout du compte, un grand projet de loi contre la fraude sociale et fiscale est prévu à l’automne.

Une baisse des aides d’Etat aux entreprises privées

Du côté des aides aux entreprises, pointées du doigt par le Sénat, François Bayrou a décidé de serrer la vis. Le Sénat chiffrait la semaine dernière à 211 milliards d’euros le montant des aides publiques et autres subventions versées aux entreprises privées, suscitant la colère du monde associatif désormais au régime maigre. Le Premier ministre a entendu le message. Et, à coup sûr, les calculs ne sont pas finalisés mais il a son idée sur la question. Un lapsus lui échappe. Il prononce le mot « dix », avant de s’interrompre. François Bayrou veut économiser 10 milliards d’euros sur les subventions aux entreprises, j’en prends le pari.

Pour cela, sa méthode à l’égard des entreprises est simple : il propose un autre donnant-donnant. Moins de subventions, contre plus de simplifications administratives. Les entreprises n’auront pas le choix car le gouvernement procédera par ordonnances, court-circuitant au passage le Parlement, mais le camp patronal a toutes les chances d’approuver la proposition : la réduction de 10 milliards de subventions sur une enveloppe de 211 milliards représente en effet une baisse d’à peine 5% des aides de l’Etat au secteur privé… 

Associations employeuses : l’UDES mobilisée sur plusieurs sujets

Sauf qu’il y a un hic : le Premier ministre n’a pas eu un mot pour les associations employeuses. Pas un seul. Or, elles relèvent, comme les entreprises, du droit privé. François Bayrou les considère-t-il comme des entreprises ? Et entend-il (encore) réduire leurs subventions, à l’heure où elles sont nombreuses à cesser des activités voire à demander leur liquidation judiciaire ? L’UDES, syndicat patronal de l’ESS, ne devrait pas tarder à monter au créneau.

L’impact du projet de budget 2026 sur les associations est d’autant plus préoccupant que les collectivités locales, qui soutiennent les associations au titre de leur soutien aux politiques publiques, sont également au régime sec. « Les collectivités doivent participer à l’effort général : leurs dépenses ne doivent pas dépasser la progression des ressources de la Nation. Le lissage des recettes fiscales sera reconduit, le financement de l’Etat aux collectivités sera régulé », a affirmé François Bayrou. Les collectivités auront les mêmes budgets qu’en 2025, mais augmentés de l’inflation car elles ont déjà fourni de gros efforts, a précisé ensuite la ministre chargée des Comptes publics, Amélie de Montchalin. François Rebsamen, ministre de l’Aménagement du territoire et de la Décentralisation, a pour sa part ajouté que la contribution des collectivités serait de 5,3 milliards d’euros l’an prochain. Pour les associations, 2026 ne sera pas plus heureuse.

David Cluzeau, président de l’UDES, a régi dans la soirée : « Oui, la trajectoire de désendettement est nécessaire, mais l’effort supplémentaire demandé aux collectivités est inquiétant car il revient à menacer des milliers d’emplois dans les secteurs sanitaire, social, médico-social, culturel ou environnemental, qui dépendent en grande partie de financements publics et d’un soutien territorial stable. C’est incompréhensible car ce sont pourtant des emplois utiles, ancrés localement, non délocalisables et surtout au service de l’ensemble de la population et notamment des plus fragiles ».

L’UDES sera également mobilisée sur deux autres sujets : le Premier ministre a en effet décidé de « proposer deux négociations aux partenaires sociaux : sur l’assurance chômage, et sur le droit du travail pour améliorer les conditions de travail pour tous », a-t-il indiqué. Notons que la dernière convention d’assurance chômage a été agréée par le précédent Premier ministre, Michel Barnier, pas plus tard qu’en novembre 2024. Son objectif est de « réconcilier notre pays avec l’épanouissement au travail », de faire baisser le nombre d’emplois non pourvus, de proposer « une allocation sociale unifiée d’ici la fin de l’année pour ceux qui ne travaillent pas » et de produire davantage en supprimant notamment deux jours fériés, comme par exemple le lundi de Pâques et le 8 mai.

44 milliards d’économies budgétaires attendues, si Bayrou tient bon

Enfin, plusieurs bonnes nouvelles sont intervenues dans le discours du Premier ministre. Invitant les partis politiques et surtout le CESE à améliorer son projet de budget, il a conforté dans ses fonctions la troisième assemblée de la République, pourtant objet de très fortes critiques de la droite républicaine ces derniers mois.

Au sujet de la réduction du nombre d’agences de l’Etat, il a confirmé la suppression de celles qui sont improductives et qui emploieraient jusqu’à 1.500 personnes, mais aussi la fusion d’agences de l’Etat ou leur réinternalisation au sein des ministères. A cet égard, il n’a pas cité l’Ademe, également sous le feux de critiques injustifiées de la droite dure, refusant de pointer du doigt une agence particulièrement utile au service de la transition écologique.

Au final, François Bayrou estime avoir présenté un plan « réaliste et atteignable », visant une réduction budgétaire de 44 milliards d’euros l’an prochain, dont 21 milliards au titre des seules économies sur les dépenses de santé. Voilà qui lui permettra, espère-t-il, de ramener le déficit public à 4,6% en 2026 – et à 2,9% en 2029. Si l’opposition politique lui laisse le temps d’agir.

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