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Budget de l’ESS : une hausse de 10 M€… en trompe l’oeil

Êtes-vous forts en maths ? J’espère, parce que l’on peut faire dire aux chiffres à peu près ce que l’on veut. Par exemple, disons que je souhaite vendre une montre à 100€ sur Le Bon Coin. La plateforme me conseille de baisser mon prix de 25% pour trouver plus d’acheteurs, je suis d’accord. Puis vient un collectionneur qui m’offre 30% de plus pour être sûr de l’emporter. Je suis super content ! Je fais une bonne affaire, non ? Et bien non. Parce que 100€ – 25% + 30% = 97,5€. J’ai donc perdu un peu d’argent. Sortez vos calculettes, vous verrez bien.

Quelque chose me dit que le calcul ne sera pas différent pour le budget de l’ESS. Dans sa version initiale, Bercy prévoyait une baisse de 25% du budget consacré à l’économie sociale et solidaire, à savoir le fameux Programme 305 qui finance les têtes de réseau (CRESS), la formation des associations (DLA) et les coopérations territoriales (PTCE). La fronde fut immédiate ! Heureuse surprise, la ministre déléguée à l’ESS, Marie-Agnès Poussier-Winsback, annonce finalement jeudi dernier à Ouest France une augmentation de 30% du budget de l’économie sociale et solidaire en 2025. Ouf ! Bonne nouvelle, non ? A priori non. Je vous laisse refaire le calcul.

En clair, combien pour l’ESS l’année prochaine ?

A moins que… la base de calcul ne soit pas exactement la même. C’est le problème des chiffres : on peut être en désaccord non seulement avec leur analyse, mais aussi avec lur base de calcul. Je vous renvoie à vos vieilles règles de trois, à vos cours de probabilités, à ces horribles fonctions logarithmiques et à vos mille cheveux arrachés à cause d’un prof’ de maths que vous n’oublierez jamais. Bref, reprenons ! Combien l’ESS aura-t-elle l’an prochain ? C’est la seule question qui vaille. Mais personne ne donne la réponse. Dit autrement, quelle est la base de calcul de Marie-Agnès Poussier-Winsback ? Et bien justement, on ne sait pas. Eh non ! Ouest France ne l’a pas précisé. Pffff, décidément, ces journalistes… 

Alors j’ai essayé de reconstituer le calcul. La ministre nous parle d’une augmentation de 30% et précise à Ouest France que : « un amendement validé par le gouvernement va permettre d’augmenter de 10 millions d’euros l’enveloppe des crédits dédiés à l’Économie sociale et solidaire ». Je ne suis pas un cador en maths, mais je comprends que +30% = +10 M€. Donc on prend l’ancien budget, on ajoute 30%, ça nous donne un écart de 10 M€. On est d’accord ? Et bien non. Je le retourne dans tous les sens, ça ne marche pas. Si vous voulez, on va le faire ensemble.

Sortez vos cahiers, rangez vos calculettes et prenons trois hypothèses : 

  • 1ère hypothèse : Le budget de l’ESS augmentera en 2025 de 30% par rapport à son montant décidé pour 2024. Je n’y crois pas, ce serait contraire à la doctrine Barnier d’économies budgétaires, mais bref. Sachant que les crédits 2024 étaient de 22 M€, ajoutez 30%, on arrive à 28 M€. C’est bien, mais nous n’avons pas ici nos +10 M€ d’augmentation. Quand c’est flou, il y a un loup.
  • 2ème hypothèse : Le budget de l’ESS augmentera de 30% par rapport au projet de loi de finances actuel 2025 qui ambitionne de le réduire de 25%. Je vous renvoie au site Le Bon Coin et au premier paragraphe ci-dessus pour bien comprendre. Résultat : 22 M€ -25% +30% = 21,5 M€. L’ESS resterait perdante au final de -0,5 M€. 
  • 3ème hypothèse : Quelque chose m’échappe. Je téléphone à Bercy pour en avoir le coeur net, où l’on m’explique la différence entre les “crédits de paiements” et les “autorisations d’engagement”. Passons les détails, la seule vraie bonne base de calcul pour le budget de l’ESS serait les “autorisations d’engagement”, qui s’établissaient à 19,2 M€ en 2024, puis à 15,6 M€ dans le projet de loi de finances 2025, et que la ministre a convaincu Laurent Saint-Martin d’augmenter de 30%. Faites le calcul. Au mieux, nous avons donc 19,2 + 30% = 25 M€. Cela ne fait pas un écart de +10 M€ non plus. Tout cela manque bien de clarté.

Le seul écart de 10 M€ qui soit cohérent avec la parole ministérielle, c’est de comparer l’hypothèse de voir les crédits de l’ESS baisser à 15,6 M€ dans le projet de budget 2025 initial, avec l’autre hypothèse de les voir remonter à 25 M€ grâce à l’amendement actuel poussé par Marie-Agnès Poussier-Winsback. Certes, nous pouvons conjecturer sur les hypothèses. Dans un tel cas, nous verrions alors passer les crédits d’engagements de 19,2 M€ en 2024 à 25 M€ en 2025, soit une hausse de 30%, comme indiqué, qui équivalent en réalité à +6 M€ en valeur absolue (et non pas +10 M€).

En soi, vu le contexte budgétaire actuel, c’est tout de même un tour de force et nous pourrons remercier la ministre, lorsque le budget 2025 sera effectivement adopté, de cette victoire pour le programme 305 de Bercy qui accompagne les têtes de réseau de l’économie sociale et solidaire. 

6 millions de hausse, pour 8 milliards de réductions budgétaires

Mais, d’une part, les “têtes de réseau” font une belle jambe à bien des acteurs de terrain, cadres associatifs, travailleurs sociaux, médiateurs culturels, éducateurs, infirmiers, aide-soignants, entrepreneurs écologiques et sociaux… Sur les réseaux sociaux, l’un d’entre eux questionne : « Faut il attendre que les “têtes” partagent avec les membres du corps » ? Un autre renchérit : « Ces sommes iront-elles jusqu’aux actions du dernier kilomètre » ?

D’autre part, pas question de se laisser berner par des éléments de langage, des effets de communication ou des chiffres mal consolidés. Les acteurs de l’ESS, dont les budgets vont être considérablement réduits l’année prochaine, méritent mieux que cela : ils veulent de la clarté, de la précision, de la transparence et de la considération dans leurs relations avec les pouvoirs publics. 
Enfin, ne soyons pas dupes : ces 6 millions d’euros d’augmentation sont une goutte d’eau dans un océan de besoins sociaux et face aux 8 milliards d’euros de réductions budgétaires qui vont frapper nos différentes branches d’activité, comme l’a chiffré le syndicat d’employeurs Udes. Son président Hugues Vidor, soutenu dans son argumentaire par ESS France, alerte en effet depuis un mois sur la menace d’un « vaste plan social » de 186.000 suppressions d’emploi dans l’ESS et il dénonce en conséquence « un risque d’explosion sociale majeur » dans l’ensemble du pays.

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