C’est un bras de fer à la fois colossal et sociétal, un signal d’alarme qui résonne dans tout le secteur de l’économie circulaire, dans l’insertion par l’activité économique et dans toute l’économie sociale et solidaire. Avec d’un côté, l’entreprise Le Relais, issue du mouvement Emmaüs, acteur historique de la collecte et du tri des vêtements usagés depuis 30 ans, avec ses bennes blanches, sa filière logistique, ses employés défavorisés, leurs problématiques d’insertion, mais aussi leur fierté d’avoir retrouvé un emploi, un revenu et une utilité au monde.
De l’autre côté, Refashion, l’éco-organisme agréé par l’Etat pour collecter les textiles, linges de maison et chaussures – acronyme TLC. La mission de Refashion : gérer la fin de vie de ces produits, soutenir les filières de collecte, de réparation et de réemploi. Et sensibiliser le public aux fameux 4R : réparez, réutilisez, recyclez, réduisez ! Pour financer le fonctionnement la filière, Refashion perçoit une éco-contribution de 3 centimes sur chaque produit textile vendu, payée par le client. Cette éco-contribution est ensuite reversée en partie aux acteurs de la collecte, à hauteur de 0,8 centime. Ils en veulent le double. Mais Refashion ne peut pas. Le dialogue est rompu.
La filière textile à bout de souffle
Voilà donc que survient l’ultimatum : Le Relais suspend ses activités de collecte à compter du 15 juillet, annonce l’entreprise d’insertion. À ce jour, les bennes blanches sont fermées, les sacs de vêtements s’accumulent à leurs pieds. Mais cet ultimatum a tout d’un appel au secours. Car le modèle économique du Relais est au bord de l’asphyxie. Sa trésorerie, à deux doigts de la cessation de paiement.
Trois mille emplois sont aujourd’hui menacés dans une filière à bout de souffle, essorée par la fast fashion, par le marketing des réseaux sociaux qui pousse à acheter toujours plus de vêtements, toujours plus vite, toujours moins chers, jusqu’à l’engorgement, la saturation, l’écoeurement.
« Nous sommes à terre », réagit consternée Camille Amand, directrice de l’association Monde Solidaire, dans la Sarthe. Car la suspension des collectes par Le Relais au 15 juillet a déjà des conséquences dévastatrices pour les associations locales. « Nous avons été informés de cette décision ce vendredi 11 juillet 2025, soit quatre jours seulement avant l’arrêt complet de l’activité, sans concertation ni anticipation possible », explique Camille Amand. Conséquence immédiate : « Nous n’avons pas eu d’autre choix que d’acter 4 licenciements économiques effectifs, 11 autres emplois menacés à court terme, une dette de plus de 30 000 € laissée par Le Relais depuis janvier, sans réponse ». C’est l’effet domino.
Refashion contre-attaque : « Le modèle d’export est à revoir »
Est-ce la faute de Refashion ? Pas exactement. Les salariés du Relais ont déversé partout en France des tonnes de vêtements devant des magasins comme Décathlon ou Kiabi, alertant la presse et l’opinion, faisant signer des pétitions. Mais ce sont surtout les enseignes qu’ils accusent de produire des vêtements de plus en plus bas de gamme, en très grandes quantités, à très bas prix, alimentant à la fois la surproduction, l’explosion des déchets textiles, leur piètre qualité non réutilisable, donc le refus des metteurs en marché de les revendre, en France comme à l’export.
Refashion est-il exempt de responsabilité ? Pas tout à fait. Le Relais, qui concentre près de 70 % du volume textile traité dans l’ESS, accuse Refashion de ne financer la filière qu’à hauteur de 55 % de ses coûts réels. La situation est jugée intenable par Pierre Duponchel, fondateur du Relais : « Il suffirait de 30 millions d’euros pour sauver la filière. Et Refashion a 200 millions d’euros sur ses comptes ». Pour structurer la filière sur le temps long et absorber les à-coups conjoncturels, répond Refashion.
Refashion rétorque donc par un communiqué musclé, démentant les accusations, dénonçant la rupture du dialogue et une stratégie de pression unilatérale. « On ne résout pas une crise systémique à coups de menaces », estime Maud Hardy, directrice générale de Refashion. Elle pointe du doigt le refus du Relais d’adapter son propre modèle économique, préférant le bras de fer médiatique à la concertation. L’éco-organisme reconnaît assurément les limites du système. Mais il rappelle que le modèle actuel est hérité des années 2000, fondé sur une stratégie d’export vers l’Afrique qui appartient désormais à une autre époque.
L’État débloque 49 millions d’euros : un sparadrap ?
C’est un nouveau modèle économique qu’il faut bâtir pour la filière. Sous l’égide des pouvoirs publics, bien sûr, dont Refashion tire sa légitimité puisqu’elle a été choisie pour gérer la filière sur la base d’un cahier des charges précis. Sauf que, depuis bien des mois, les pouvoirs publics ont beaucoup d’autres chats à fouetter. Maud Sarda, directrice de Label Emmaüs, s’en inquiète et évoque un désintérêt de l’État pour l’avenir de la seconde main professionnelle : « C’est toute la chaîne de solidarité territoriale qui est en train de s’effondrer, qui s’en inquiète à Bercy ? »
Le gouvernement a finalement réagi vendredi, la ministre de la Transition écologique Agnès Pannier-Runacher annonçant le relèvement exceptionnel des aides au secteur de 34 à 49 millions d’euros. Cela représente une hausse immédiate de 43% du prix d’achat de la tonne textile versé aux collecteurs (223 euros/tonne). Sans compter un nouveau relèvement à 57 millions déjà annoncé pour l’an prochain (228 euros/tonne). Une mesure d’urgence saluée, mais déjà jugée insuffisante et trop tardive, car cette crise a montré la nécessité d’une réponse systémique.
Refashion appelle pour sa part à une transition vers un modèle plus circulaire, plus local, plus durable, en lien avec les objectifs du futur cahier des charges 2026 de la filière REP textile. Ce nouveau cadre ne sera effectif qu’en 2026, un horizon jugé trop lointain pour bon nombre de structures à bout de souffle, mais Agnès Pannier-Runacher a prévenu : « Ce soutien exceptionnel doit permettre à la filière de tenir, le temps que la réforme structurelle entre en vigueur ».
La fast fashion, premier responsable de la situation
Derrière cette crise épidermique, le rôle délétère de la fast fashion n’est pas assez pointé du doigt. Chaque jour en France, 10 millions de vêtements sont vendus, dans une logique de collection permanente, de prix cassés et de faible qualité. Les textiles arrivent en masse dans les bennes, trop abîmés pour être réutilisés, trop coûteux à trier ou recycler. Les filières de réemploi ne parviennent même plus à rivaliser avec le neuf bon marché. Le modèle du “pollueur-payeur”, incarné par la Responsabilité Élargie du Producteur (REP) textile, n’est malheureusement toujours pas pleinement effectif, malgré l’obligation légale.
En attendant, la fast fashion fragilise les modèles économiques des structures de l’ESS, menace des milliers d’emplois solidaires, ainsi que les valeurs de justice sociale, territoriale et écologique, qui prévalent dans les filières de réemploi. Le textile n’est pas un déchet comme les autres. Il est au cœur d’un modèle de société à repenser. Et c’est aujourd’hui qu’il faut agir, pas en 2026.