Et si l’accueil des personnes exilées devenait un indicateur de santé démocratique ? En réponse à la supposée « submersion migratoire » énoncée par le Premier ministre à l’Assemblée nationale, ou au recul des politiques de diversité et d’inclusion aux États-Unis qui pourraient un jour s’étendre à l’Europe, l’économie sociale et solidaire donne de la voix.
Depuis six ans, l’association Weavers France fait de l’inclusion par le travail un levier de transformation sociale. Avec une parole libre, des résultats concrets, et des propositions fortes, sa co-fondatrice Flora Vidal Marron, invitée de notre émission « ESS On Air » sur Mediatico, appelle non seulement à changer de regard, mais aussi à changer d’échelle (voir la vidéo intégrale ci-dessous).
Car l’immigration n’est pas un sujet réservé aux plateaux télé ou aux polémiques électorales. Elle traverse les rues de nos villes, les couloirs de France Travail, les ateliers de formation et, plus largement, trois des fondements de l’économie sociale et solidaire : la solidarité, l’emploi, et la place des femmes dans la société.
C’est pour répondre à ces enjeux que Flora Vidal Marron, fondatrice de l’association Weavers France, s’est donnée la mission d’accompagner les personnes exilées vers l’emploi, avec dignité, ambition et exigence. « Je veux contribuer à une société où chacun a sa place, sans résignation face à la haine ou à l’indifférence », résume-t-elle.
Une inclusion par le travail, tissée sur mesure
Créée à Lyon en 2019, Weavers France intervient aujourd’hui en Rhône-Alpes, en Bourgogne et en Provence, au plus près des réalités locales. L’association a déjà accompagné plus de 2.000 personnes réfugiées, avec un taux d’insertion de 75 %. Un chiffre impressionnant, qui s’appuie sur une méthode simple : l’apprentissage de la langue, la compréhension des codes professionnels, et le lien direct avec des entreprises locales.
Ce maillage territorial permet d’identifier les besoins, d’adapter les formations, et de créer des débouchés réels. Pour beaucoup d’exilés, le travail devient alors un tremplin vers la stabilité, l’autonomie, la dignité.
Un modèle menacé par les arbitrages budgétaires
Le modèle économique de Weavers France repose sur un équilibre subtil : un tiers de financements publics (France Travail, les Régions…), un tiers de partenariats privés, et un tiers de mécénat ou de dons. Un modèle composite, qui permet à l’association d’être résiliente. Du moins jusqu’à maintenant.
Car les signaux actuels sont inquiétants : la trajectoire budgétaire de l’État prévoit 40 milliards d’euros d’économies d’ici 2026, avec un risque clair de baisse des subventions pour les associations. Un contresens total, selon Flora Vidal Marron : « On nous reproche d’être subventionnés, mais nos financements publics sont bien moindres que ceux des grandes entreprises du CAC40. Le vrai sujet, c’est celui de la redistribution. »
Et si on imposait une obligation d’embauche ?
Face à l’ampleur des défis, Weavers France ne se contente plus d’agir : l’association veut transformer les règles du jeu. Flora Vidal Marron propose ainsi une mesure radicale : créer une obligation d’embauche de personnes réfugiées, sur le modèle de l’Agefiph pour les travailleurs handicapés. Les entreprises qui ne joueraient pas le jeu paieraient une contribution à un fonds mutualisé, cogéré avec l’État et les associations, pour financer les actions d’inclusion.
« On ne peut pas continuer à compter uniquement sur les bonnes volontés. L’engagement des entreprises ne peut pas rester dans le registre du volontariat militant », insiste-t-elle.
Une proposition qui bouscule, mais qui met le doigt sur une tension essentielle : peut-on traiter l’inclusion comme un luxe, alors qu’elle devrait être un pilier de notre cohésion sociale ?
Réhumaniser le débat sur l’exil
Ce plaidoyer politique s’appuie aussi sur un combat sémantique. Flora Vidal Marron tient à parler de « personnes exilées » plutôt que de « migrants » : « Ce qui les unit, c’est un parcours, pas un statut administratif. Ce sont des personnes qui veulent reconstruire leur vie ici, durablement. »
Et face aux discours anxiogènes, Flora Vidal Marron oppose les faits : la France est seulement le 12e pays européen en termes d’accueil en proportion de sa population, et le nombre de réfugiés climatiques pourrait atteindre 216 millions d’ici 2050, selon la Banque mondiale. L’exil n’est pas une crise passagère, mais une réalité durable. À nous de choisir si nous voulons la subir… ou y répondre avec intelligence et humanité.
Une vision européenne et collective
C’est dans cette optique que Weavers a récemment cofondé « Work With Refugees », un collectif national d’acteurs engagés – Singa, Kodiko, RefAid, Élan interculturel – pour mutualiser les forces, partager les outils, et porter une voix commune auprès des pouvoirs publics.
Car les défis sont globaux, et les réponses doivent le devenir aussi. À l’heure où les politiques de diversité et d’inclusion reculent aux États-Unis, Weavers France invite l’Europe à affirmer une vision démocratique, inclusive et solidaire de l’accueil.
Pour Flora Vidal Marron, l’enjeu de l’accueil dépasse largement le champ de l’accompagnement, il touche au cœur du projet républicain. L’accueil est un révélateur de la santé de notre démocratie. Soit on bâtit une société où chacun peut contribuer, soit on accepte l’exclusion et l’injustice comme normes.
Weavers France a choisi la première voie. Celle de la solidarité exigeante. Celle de l’action concrète. Celle du tissage patient de nouvelles solidarités. Celle d’un projet de société plus digne, plus juste… et plus fort.