Un gouvernement de droite dure, un ministre de l’Intérieur plus dur que certains cadres du RN, un garde des Sceaux issu du parti socialiste qui fait figure de faire-valoir, un ministre de l’Économie âgé de 33 ans à peine et déjà sous tutelle de Matignon, un gouvernement qui ne reflète aucunement les aspirations des Français… Les commentaires n’ont pas tardé, samedi soir, après la présentation de la liste du gouvernement Barnier. Critiques de gauche ? Ou d’extrême-droite ? Pas du tout. Ces semblants de critiques étaient… les commentaires spontanés des meilleurs journalistes politiques.
Mais quelle politique le gouvernement Barnier mènera-t-il ? Quelle place pour l’économie sociale et solidaire ? Quelles ambitions pour la vie associative ? Quels espoirs pour la justice sociale, fiscale ou climatique ? Quelle stratégie pour l’emploi, l’alternance et l’insertion par l’activité économique ? Quelle « humanité » dans la politique migratoire qui nécessite désormais « beaucoup plus de rigueur », selon les mot de Michel Barnier lui-même ? Ces questions trouveront une réponse dans son discours de politique générale, le 1er octobre prochain. Mais d’ores et déjà, elles semblent conduire à une seule et même réponse : l’effort financier de tous les Français.
Une grille de lecture politique plutôt claire
Regardez le profil des membres du gouvernement. Didier Migaud, par exemple, ministre de la Justice, numéro deux du gouvernement Barnier. Il s’est illustré durant toute sa carrière politique comme un expert des finances publiques. Il a été rapporteur général du budget, président de la commission des finances de l’Assemblée nationale, premier président de la Cour des comptes… Bien que nommé au ministère de la Justice, il sera un homme-clé dans la conduite par Michel Barnier d’une politique de redressement des comptes publics. Oui, l’ère qui s’ouvre devant nous est celle des restrictions budgétaires.
Regardez le profil d’Antoine Armand, nommé ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie à l’âge de 33 ans. Il n’apparaît qu’au 9e rang dans la hiérarchie gouvernementale, alors qu’il succède à un Bruno Le Maire triomphant, qui a piloté Bercy durant un record de 7 ans. A l’évidence, Antoine Armand aura du mal à s’imposer face aux directeurs de l’administration centrale, tous les experts le concèdent. La politique de Bercy sera donc conduite à Matignon.
Quant au ministre du Budget et des Comptes publics, Laurent Saint-Martin, je l’avais rencontré et interviewé lors d’un débat télévisé organisé par la CRESS Île-de-France, durant les dernières élections régionales. Déjà, il défendait ardemment la maîtrise des dépenses publiques et la baisse des prélèvements obligatoires. Aujourd’hui au gouvernement, il n’aura pas les mains plus libres que le ministre de l’Economie, dont il ne dépend d’ailleurs pas : Laurent Saint-Martin a été très officiellement nommé « ministre auprès du Premier ministre ». Michel Barnier reste à la manœuvre.
Marie-Agnès Poussier-Winsback, ministre de l’ESS
Enfin, regardez le profil de la ministre déléguée chargée de l’Economie sociale et solidaire, de l’Intéressement et de la Participation, Marie-Agnès Poussier-Winsback. Sans préjuger de son action à venir, cette ancienne maire de la ville de Fécamp (Normandie), devenue députée de Seine-Maritime et vice-présidente du parti Horizons (le parti d’Edouard Philippe), mène depuis vingt ans une carrière exclusivement politique.
On voudrait que Marie-Agnès Poussier-Winsback défende une loi de programmation pour l’ESS, le soutien aux dynamiques territoriales, voire la conversion de l’économie classique aux principes de l’ESS. Sauf qu’elle n’a aucune expérience de l’économie sociale et solidaire. Tout s’apprend, certes. Mais désignée voilà quatre jours à peine rapporteure du budget 2025, puis devenue dimanche membre du gouvernement sur décision du ministre de l’Economie, nul doute que son approche de l’ESS sera avant tout budgétaire.
Quant au mot « Participation » dans l’intitulé de son portefeuille ministériel, soyez certains qu’il ne concerne pas la participation citoyenne, la démocratie ou le référendum d’initiative populaire. Peut-être pourrait-elle nous parler de coopératives ? Mais rien n’est moins sûr. Elle nous parlera plutôt de la participation des salariés aux bénéfices de leur entreprise, donc de partage de la valeur économique, pour redresser le pouvoir d’achat des salariés – ou du moins de certains d’entre eux. Michel Barnier sait que ce point, crucial pour le RN, est essentiel à sa longévité politique.
50 milliards d’euros par an
En guise de participation, en revanche, les Français vont mettre la main à la poche, c’est certain. Les plus riches, c’est désormais évident. Le Premier ministre a déjà évoqué « des prélèvements exceptionnels et ciblés »sur les plus hauts revenus et les entreprises multinationales. La forme n’est pas arrêtée : retour de l’ISF, remise à plat de la fiscalité, suppression de niches fiscales… Bien des options sont sur la table. Mais jusqu’où les classes moyennes et les plus fragiles seront-ils épargnés ? Rien n’est arrêté !
Face à l’équation budgétaire, le gouvernement Barnier sera donc celui de la rigueur, après sept années de gestion dispendieuse des finances publiques par Bruno Le Maire. Trois mille milliards d’euros de dette, imaginez seulement. Cela nous coûte 50 milliards d’euros par an, juste en remboursement d’intérêts, disait Michel Barnier dimanche.
Une somme à l’évidence que les acteurs de l’ESS préféreraient voir investie dans la transition écologique ou dans la réduction de la misère sociale. Pour l’heure, cette somme s’évapore sur les marchés financiers. Pour rembourser le plus souvent de riches prêteurs, ou des États étrangers. En attendant, les financements aux circuits de solidarité, de coopération, de mutualisation, se réduisent.
Comme François Mitterrand en 1983, Emmanuel Macron vient d’enclencher son tournant de la rigueur.