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La Nuit du Bien Commun lève 1,4 millions d’euros de dons

Avez-vous assisté à la 8e édition de la Nuit du Bien Commun, qui se déroulait lundi soir à l’Olympia ? J’y étais ! Spectacle, bonne humeur, paillettes, humour… En 3 minutes sur scène, le pitch des associations devait convaincre les donateurs. Dans la salle, les objectifs de « levée de dons » sont dépassés, sous vos applaudissements : elles vont souvent au-delà des 100.000 euros par projet. « La plus belle levée de dons de l’année », assuraient d’avance les organisateurs !

Depuis 2017, cet événement philanthropique a permis de lever 23 millions d’euros auprès de 600 mécènes, reversés à 4.510 projets associatifs au service du Bien Commun, comme Café Joyeux ou Entourage. Lundi soir, 13 projets étaient lauréats, parmi lesquels A Bras Ouverts (handicap), A Deux Mains (sections manuelles d’excellence), Familya (liens conjugaux), La Maison de Marthe et Marie (soutien aux femmes enceintes), L’Etoile du Berger (violences intrafamiliales), Simon de Cyrène (habitat inclusif), Visitatio (fin de vie), Wake Up Café (sortants de prison)… 

Tous ces projets servent de nobles causes, qui cherchent des financements. À l’heure de la raréfaction des fonds publics, le développement de la philanthropie privée est une aubaine. Mais le Bien Commun serait-il un concept estampillé droite catholique ? J’observe que la moitié des 13 projets lauréats porte un nom inspiré du catholicisme traditionnel. 

La gauche n’a pas le monopole du coeur

Voilà quelques années, j’avais croisé lors d’une Nuit du Bien Commun, au théâtre Mogador ou salle Gaveau, je ne sais plus, Marie-Claire Carrère-Gée et Emmanuelle Wargon. Toutes deux sont devenues plus tard ministres de l’un des gouvernement Macron. Assurément, elles savaient où elles mettaient les pieds. Les associations qui voudraient candidater l’an prochain pour la Nuit du Bien Commun doivent le faire en connaissance de cause, sous peine de risquer quelques controverses sur leurs valeurs identitaires. 

La Nuit du Bien Commun est produite et organisée par l’entreprise Obole – un nom encore bien choisi – dont les 5 fondateurs (voir la liste) sont pour la plupart âgés de moins de 40 ans et issus de familles de droite catholique. Et alors ? « La gauche n’a pas le monopole du coeur », disait déjà Giscard à Mitterrand. Bien sûr que la droite engendre des générations d’entrepreneurs de longue date, qu’elle a le droit d’être généreuse et d’aider son prochain, et heureusement. Et l’extrême droite ? La question mérite d’être posée, car si la Nuit du Bien Commun défraie parfois la chronique, c’est parce que la présence de Pierre-Édouard Stérin parmi ses fondateurs soulève bien des questions.

La supercherie libertarienne de Pierre-Édouard Stérin

Le milliardaire Pierre-Édouard Stérin, catholique traditionnaliste revendiqué, libertarien décomplexé, aux « liens avérés avec l’extrême-droite » selon Les Echos, « au coeur du dispositif de Marine Le Pen » lors des dernières législatives selon Le Monde, est déjà à l’offensive pour les prochaines municipales avec 150 millions d’euros d’investissement pour aider LR et le RN à conquérir le pouvoir (aussi dans Le Monde). Ainsi, Pierre-Édouard Stérin, qui organisait dès 2015 de simples « apéros du bien commun », selon L’Express, qui a ensuite lancé Obole Digitale en 2016 pour produire les Nuits du Bien Commun, a donc des visées politiques affichées, en soutien à l’extrême-droite. 

Pierre-Édouard Stérin a bâti sa fortune grâce à Smartbox. Achetez-vous parfois ses coffrets-cadeau pour partir en voyage ? Il a délocalisé le siège de Smartbox en Irlande pour sa fiscalité avantageuse. Il s’est lui-même exilé fiscalement en Belgique. Voilà donc notre milliardaire français, qui refuse de payer ses impôts en France, appeler à la générosité privée pour financer des associations d’intérêt général en insistant sur l’avantage de lé défiscalisation. 

Nous sommes en pleine supercherie libertarienne, selon le nom de cette philosophie qui prône une intervention de l’État minimale, pour espérer jouir d’une liberté individuelle maximale. Car, Pierre-Édouard Stérin publiait l’an dernier une tribune dans Le Figaro, intitulée : « Les entrepreneurs doivent devenir des mécènes de l’intérêt général ». Or, vous l’aurez compris : sans Etat, pas de défiscalisation possible. 

Pierre-Édouard Stérin n’est plus tout à fait là… 

Pas étonnant que la Nuit du Bien Commun ait fait polémique dans quelques villes. Une soirée caritative du diocèse organisée à l’Opéra de Limoges, à laquelle Obole apporte son infrastructure technique de levée de fonds, a fait des remous au printemps dernier (lire ici). Au mois de juin, c’est la mairie de Marseille et la Fondation de France qui avaient annulé leur participation à une « Nuit du Bien Commun ». L’événement, qui devait se dérouler à l’opéra de la cité phocéenne, a été finalement hébergé par un site privé (lire ici). 

Pourtant, selon François Jacob, directeur général d’Obole qui produit la Nuit du Bien Commun, Pierre-Édouard Stérin « n’est plus président du Fonds de dotation de la Nuit du Bien Commun, qui est un fonds d’intérêt général qui compte 70 actionnaires », m’assurait-il lundi soir. Le milliardaire, qui reste toutefois membre du collège des fondateurs dans la gouvernance du Fonds de dotation de la Nuit du Bien Commun, aurait quitté le conseil d’administration en 2021, lorsqu’il a fondé un autre fonds d’investissement… nommé « Le Fonds du Bien Commun ». Lisez bien, ce n’est pas tout à fait le même nom.

Mieux, et accrochez-vous : ce « Fonds du Bien Commun » de Pierre-Edouard Stérin, spécialisé dans les investissements à impact, comporte quatre branche d’activités… dont un fonds de dotation intitulé « Fonds de dotation du Fonds du Bien Commun ». Allez donc y voir clair. Je suis heureux d’avoir éclairé votre lanterne !

Obole n’est pas une entreprise « à mission »

Pour finir, penchons-nous sur ce concept de « bien commun ». Nous ne parlons pas ici « des » biens communs comme l’eau, la démocratie ou la culture, mais du concept « d’intérêt général », comme l’exprimerait la gauche. Comme jadis les communistes, la droite préfère parler de « Bien Commun », mais avec des majuscules, s’il-vous-plaît. Car Obole a transformé le concept en marque, déposant à l’INPI les noms « Génération Bien Commun », « Les Acteurs du Bien Commun », « Le Voyage du Bien Commun » (pour rencontrer le Pape à Rome en 2019, lire ici), mais aussi l’incubateur « Startup studio du Bien Commun », ou encore la « Maison du Bien Commun », située rue Duroc à Paris, dans le 7e arrondissement (voir la liste des marques).

De la sorte, la notion de bien commun devient un véritable écosystème. Voire un business. D’ailleurs, une fois les dons reversés aux associations, les statuts d’Obole disent en effet, comme pour toute société par action simplifiée (SAS), que « le bénéfice distribuable (…) est à la disposition des associés (…) à titre de dividende » (lire les statuts). Dotée d’un capital de 1,3 million d’euros, ce qui n’est pas donné à tout le monde, Obole a réalisé l’an dernier un chiffre d’affaires de 2,5 millions d’euros, pour un bénéfice net annuel de 111.000 euros en 2023, soit une marge nette de 4%, selon les comptes attestés par KPMG (le bilan comptable est ici). 

Voici donc un petit bénéfice de 111.000 euros partageable entre soi, qui n’est pas redistribué au bien commun. Ce business semble d’ailleurs florissant, puisque Obole organisait voilà dix jours à l’Élysée Montmartre, à Paris, la première édition du « Dîner des bâtisseurs », réunissant 400 décideurs catholiques pour valoriser l’engagement des catholiques dans la société. A sa décharge, Obole n’a jamais prétendu être une entreprise… à mission. Ni une entreprise altruiste. Ni vouloir prétendre à l’agrément ESUS. Cela viendra peut-être…

En attendant, la 8e Nuit du Bien Commun a permis de lever lundi soir 1.391.980 euros de dons. Un record !

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