L’Assemblée nationale a adopté hier soir en séance publique une proposition de loi qui pourrait marquer un tournant majeur en France pour le secteur de la petite enfance. Et qui intéresse de près l’économie sociale et solidaire ! Porté par la députée socialiste Céline Hervieu, ce texte, qui devra encore être adopté au Sénat, vise en effet à moraliser et à mieux réguler les crèches privées à but lucratif, où les scandales se sont succédés ces dernières années.
Le dernier livre-enquête « Les Ogres » du journaliste Victor Castanet, qui avait déjà révélé précédemment le scandale des Ehpads, a levé le voile sur la façon dont la « guerre des prix » et la recherche effrénée de profits dans les crèches privées débouchent désormais sur des pratiques alarmantes : « rationnement de couches et de produits alimentaires, non-respect des ratios d’encadrement, suroccupation structurelle, risques de maltraitance, manque de transparence financière, pratiques commerciales frauduleuses… », égrenne la députée.
Selon Céline Hervieu, la financiarisation du secteur « fait peser des risques graves sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants ». Le secteur de l’économie sociale et solidaire s’était fortement ému l’an dernier de la révélation de ces dysfonctionnements. De nombreuses structures de l’ESS sont en effet gestionnaires de crèches ou d’établissements spécialisés dans la petite enfance. Mais leurs principes de fonctionnement sont diamétralement opposés à la recherche de profit qui prévaut dans le secteur lucratif.
Les crèches associatives ou relevant de l’ESS, en effet, n’ont pas d’actionnaires à rémunérer. Elles ont une approche non lucrative de leur activité, intégralement tournée vers les besoins des usagers, vers leur utilité sociale et vers les offres de service territoriales. Les structures de l’ESS ne sauraient donc être confondues avec les crèches privées à but lucratif, qui répondent à l’inverse à des exigences de rentabilité, de retour sur investissement et de dividendes à verser à leurs actionnaires.
Après la révélation des scandales, cette différence de fonctionnement radicale avait abouti l’an dernier à une prise de position claire de l’association ESS France, appelant officiellement à réserver au secteur non lucratif certains secteurs d’activité économique tournés vers l’intérêt général, comme ceux de la petite enfance, de la dépendance, ou encore du handicap.
Un encadrement strict des fonds d’investissement
Céline Hervieu, pour sa part, ne souhaite pas l’interdiction des crèches privées lucratives. Les solutions de garde offertes aux jeunes parents sont déjà en nombre insuffisant, relève-t-elle. Sa proposition de loi vise donc à encadrer strictement certaines pratiques et intègre notamment une mesure phare : l’autorisation préalable de l’administration en cas d’entrée de fonds d’investissement au capital des entreprises de crèches. Cette disposition vise à prévenir les dérives issues d’uen conception : la priorité absolue accordée aux rendements financiers, au détriment du bien-être des enfants.
Plusieurs autres mesures sont envisagées dans cette proposition de loi, afin de renforcer la transparence financière et imposer un meilleur respect des normes d’encadrement. Le but : restaurer la confiance des familles et garantir un accueil digne et sécurisé aux enfants.
Cette proposition de loi représente une avancée attendue de longue date par de nombreux parents, par les familles, par les associations et par nombre de professionnels de la petite enfance. Face à des pratiques jugées « indignes » par certains, l’urgence d’agir est partagée par une large partie de la société. « Ce n’est pas seulement une question économique, c’est une question de dignité et de respect pour nos enfants », affirme un collectif de parents mobilisés pour soutenir ce texte.
En parallèle de cette initiative parlementaire, un projet de décret gouvernemental relatif au renforcement de la qualité d’accueil dans les micro-crèches a déclenché une vague de réactions virulentes de la part des gestionnaires du secteur privé lucratif. Celui-ci a lancé deux pétitions simultanées début janvier, demandant à ne pas alourdir les contraintes administratives et budgétaires qui menaceraient la survie des plus petites structures d’accueil des jeunes enfants. Certaines de ces micro structures appellent à une journée « Crèches mortes » le 3 février prochain.