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Refuser la misère : au Trocadéro, à la Bastille, à Matignon

Étaient-ils 30.000 ou 140.000 à manifester dimanche à la Bastille, contre la vie chère et nos presque 6% d’inflation ? Peu importe, ce sont d’autres chiffres qui m’interpellent aujourd’hui. Car pour la 30e année consécutive, ce 17 octobre était « LA journée du refus de la misère » (voir le site), reconnue au niveau international par l’ONU. Et d’inspiration française, depuis déjà 35 ans.

En 1987, le fondateur du mouvement ATD Quart Monde, le père Joseph Wresinski, avait en effet emmené des familles miséreuses occuper non pas la Bastille, mais la place du Trocadéro. Rapidement rejoints par plusieurs dizaines de milliers de personnes issus de tous milieux, ils occupaient là le Parvis des Droits de l’Homme. Parce que « la misère est une violation des droits humains et qu’elle n’est pas une fatalité », répète inlassablement ATD Quart Monde, aujourd’hui encore. Cinq ans plus tard, en 1992, les Nations Unies en faisaient une journée mondiale de sensibilisation et d’interpellation. Qui vaut d’être entendue encore aujourd’hui.

Savez-vous qu’en France, pour préserver leur dignité, 320.000 personnes dans la misère ne font pas la démarche de recourir au minimum vieillesse alors qu’elles y ont droit ? L’État économiserait ainsi 3 milliards d’euros par an du fait des non-recours. Savez-vous aussi que pendant la crise sanitaire, selon l’association Co’p1, un étudiant sur deux ne mangeait pas à sa faim ?

Savez-vous encore qu’en France, à la rentrée scolaire 2022, 1.600 enfants dormaient à la rue avec leurs familles, à la veille de la rentrée des classes ? Un chiffre en hausse de 85% depuis le début de l’année, soulignent la FCPE, la Fondation Abbé Pierre et le collectif Jamais sans toit. Faute d’un nombre suffisant de places d’hébergement d’urgence et, bien sûr, de logements à loyers modérés. Ainsi est né le réseau national d’aide aux élèves sans toit.

Donner de la voix aux sans-voix

Savez-vous enfin qu’en France, 9,2 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté monétaire, qui s’établit à 2.300 euros pour un couple avec deux enfants ? Et que, parmi celles-ci, 1,2 millions de personnes subissent la double peine du dérèglement climatique, parce qu’elles vivent selon l’INSEE dans un des territoires très exposés aux variations anormales de températures et en même temps dans de très mauvaises conditions de logement ?

Alors oui, pour eux, près de 6% d’inflation dans ces conditions, c’est énorme. Mais 30.000 manifestants à la Bastille selon la police – et selon le comptage indépendant des médias – c’est bien peu. Même les 140.000 manifestants revendiqués par les organisateurs soulignent davantage la bataille politicienne que la détresse des Français. Celle des miséreux, celle des sans-voix.

Voilà deux générations, Joseph Wresinski voulait donner de la voix aux sans-voix. Et voilà son intention reprise par 37 associations et organisations signataires de « Résistances, le journal du refus de la misère ». Une feuille de chou de quatre pages, humble à l’image de celles et ceux dont elle porte la voix, qui s’efforce plus que jamais de déconstruire les idées fausses. Car il est faux de dire que « les chômeurs ne veulent pas travailler ». Que « les pauvres font tout pour toucher des aides ». Ou que « si les pauvres s’en sortent, c’est mauvais pour la planète ».

Les coups portés aux libertés associatives

Déconstruire ces idées fausses est d’autant plus essentiel aujourd’hui que la misère va s’accroître. Car le gouvernement a beau s’efforcer de protéger notre pouvoir d’achat en prolongeant la remise à la pompe, en instaurant un bouclier tarifaire sur le gaz, en permettant aux salariés de monétiser les jours de RTT non pris, en relevant le plafond des heures supplémentaires défiscalisées, en triplant le plafond de la prime Macron que verseront les entreprises d’ici la fin de l’année, en augmentant de 3,5% à 4% le RSA, la prime d’activité, les allocations familiales, les pensions de retraite et le point d’indice des fonctionnaires… cette inflation à 6% va encore accroître la misère populaire, quoi qu’il advienne.

Sur la ligne de front, les associations de solidarité bien sûr. Encore et toujours. Malgré leurs réseaux de bénévoles affaiblis depuis la pandémie. Et malgré les coups de boutoir sévères portés aux libertés associatives par le gouvernement et son Contrat d’engagement républicain d’une part, qui instaure d’emblée une forte défiance dans la relation partenariale avec l’État, rappelle le Mouvement Associatif. Par les lobbies des chasseurs et de l’agro-industrie d’autre part, qui viennent de demander la fin des avantages fiscaux pour les dons à certaines associations dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances 2023, comme s’en émeut le Haut Conseil pour la Vie Associative, relayé ici par le président d’ESS France, Jérôme Saddier.

Les associations ont toujours eu un rôle précurseur des politiques publiques, leur reconnaît volontiers Marlène Schiappa dans cette tribune publiée sur Mediatico. Dans la hiérarchie gouvernementale, la Secrétaire d’État en charge de l’Économie sociale et solidaire et à la Vie associative est placée directement auprès de la Première ministre. Faudra-t-il donc manifester contre la misère jusque devant Matignon ?

En attendant, pour préserver encore un tant soit peu la cohésion sociale en s’appuyant sur le secteur associatif, « il va falloir que le gouvernement fixe des objectifs ambitieux et accompagne les transformations sociales et écologiques de moyens importants », a précisé Christophe Robert, le délégué général de la Fondation Abbé Pierre à l’issue de sa participation début septembre au Conseil National de la Refondation.

En ce lendemain du 17 octobre, il reste tant à refonder !


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