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Retraites : l’ESS montre la voie d’une réforme juste et solidaire

François Bayrou est prêt à accorder « quelques jours de plus » aux partenaires sociaux pour les aider à boucler les négociations sur la réforme des retraites, a assuré le Premier ministre hier, en marge d’une visite au Bourget. Une fenêtre de tir supplémentaire, espérons-le, pour faire valoir les arguments de bon sens portés par l’UDES. Car le syndicat des employeurs de l’économie sociale et solidaire n’est pas avare de propositions, loin de là.

Dans le tumulte des débats techniques sur l’âge de départ, les trimestres validés ou les prévisions démographiques, la voix singulière de l’économie sociale et solidaire s’élève. Certes, le président de l’UDES, David Cluzeau, n’a pas été invité à la table des négociations en dépit de ses demandes. Qu’à cela ne tienne, il prend la parole ! 

David Cluzeau tenait ainsi vendredi une conférence de presse pour porter la voix collective, structurée et profondément enracinée dans le réel des employeurs de l’ESS. Mais aussi pour présenter un livre blanc et 10 propositions concrètes pour une réforme juste, soutenable, adaptée aux réalités du travail, et capable de remettre la solidarité au cœur du projet républicain.

L’ESS est largement légitime à parler des retraites

Car au fond, poser la question de la retraite, c’est interroger le sens que l’on donne au travail, se demander qui l’on protège, pourquoi, au nom de quelle société. En défendant une réforme ancrée dans les réalités de terrain, l’économie sociale et solidaire, avec ses 2,7 millions de salariés et ses 220 000 structures, fait plus que des propositions : elle dessine une boussole pour demain.

Et sa légitimité est incontournable dans tous les métiers du lien : aide à domicile, éducation populaire, animation, culture, sport, insertion, médico-social… Des métiers de l’engagement, largement féminisés, exposés à une intense charge émotionnelle et psychique, mais rarement reconnus comme pénibles. 

David Cluzeau le rappelle avec force : « Réformer les retraites, c’est choisir ce que l’on veut valoriser dans le monde du travail ». Alors choisissons : voulons-nous continuer à invisibiliser les métiers de l’utilité sociale, ou leur donner la reconnaissance qu’ils méritent ? Dans l’ESS, les chiffres sont là : 30 % de temps partiel, 15 % de salaires en moins que dans le privé lucratif, 32 % de salariés de plus de 50 ans… et jusqu’à 500 000 départs à la retraite prévus d’ici 2028. La réforme ne peut pas ignorer ces réalités.

La retraite, levier de justice ou facteur d’exclusion ?

L’ESS appelle donc à dépasser les logiques comptables pour affronter les vrais enjeux : ceux de la justice sociale, de la cohésion des territoires et de la reconnaissance des parcours atypiques. Car dans un secteur où les engagements citoyens, les reconversions professionnelles, le bénévolat et le temps partiel contraint sont la norme plus que l’exception, une réforme homogène, rigide, technocratique serait non seulement injuste, mais contre-productive.

Le compte professionnel de prévention (C2P), aujourd’hui centré sur des critères essentiellement physiques, ignore par exemple les risques psychosociaux. Pourtant, ces derniers minent la santé mentale et l’engagement des professionnels du lien. L’UDES appelle à les intégrer d’urgence dans le dispositif, au nom de l’égalité de traitement et de la santé au travail. Voilà comment l’ESS éclaire les angles morts du débat national.

Refuser la TVA sociale et la capitalisation, contraires au principe de solidarité

Sur le plan du financement, la prise de position de l’UDES est sans ambiguïté : non à la TVA sociale, oui à une contribution équitable. La TVA sociale reviendrait en effet à faire peser l’effort sur la consommation, sans distinction de revenus, fragilisant davantage les ménages modestes. À l’inverse, renforcer la CSG, assise sur l’ensemble des revenus — y compris ceux de remplacement — est la solution qui permettra de mieux répartir l’effort en fonction des capacités contributives.

De même, non à la capitalisation ! Cette position est une affirmation politique, pas une simple proposition technique. C’est le refus d’un glissement insidieux vers une solution présentée par certains comme miracle, alors qu’elle consiste à placer le fruit des cotisations retraites sur les marchés financiers par nature fluctuants. Le risque pour les futurs retraités serait considérable, comme l’ont déjà prouvé bien plusieurs faillites de fonds de pension aux Etats-Unis.

L’UDES met donc en garde contre cette tentation. Certes, des dispositifs complémentaires existent déjà, en particulier dans la fonction publique. Mais les généraliser reviendrait à basculer dans un modèle où la retraite devient un pari personnel sur les marchés financiers, dépendant du niveau d’épargne de chacun. Une logique dangereuse, spéculative, profondément inégalitaire.

Car un système de retraite n’est pas une assurance privée. C’est un choix de société. C’est le socle du pacte intergénérationnel. C’est un filet commun, tissé par des décennies de luttes, de solidarité et de responsabilité collective. Le démanteler lentement serait une régression historique.

Une réforme partagée et soutenable, absolument pas utopique

Ce que propose l’économie sociale et solidaire n’est pas une utopie : c’est une réforme pilotable, mesurée, fondée sur les capacités contributives réelles des acteurs économiques, notamment les petites structures qui forment 85 % de l’ESS. L’UDES appelle à élargir équitablement l’assiette de financement, à renforcer la gouvernance partagée du système, et à outiller les employeurs dans la gestion des fins de carrière : retraite progressive, droit à la reconversion, anticipation de l’usure professionnelle.

L’objectif est double : sécuriser les parcours, mais aussi maintenir la qualité du service rendu aux populations par les structures de l’économie sociale et solidaire. Dans un contexte de crise de l’attractivité des métiers de l’ESS et de besoins de recrutements importants à court terme, c’est une nécessité absolue.

Un cap à suivre pour la société tout entière

Enfin, l’ESS ne demande pas de régime spécial, mais une réforme équitable qui reconnaisse les contraintes réelles, les parcours discontinus, les contributions invisibles. Elle rappelle qu’un système universel ne peut se construire qu’en intégrant les spécificités de chacun, au risque sinon de devenir injuste pour tous.

Ce faisant, elle offre un contre-modèle au cynisme ambiant. Une autre manière de penser les solidarités. Une autre manière de faire politique, aussi. En réunissant ses employeurs autour de propositions concrètes, chiffrées, cohérentes, l’UDES montre que l’économie peut être à la fois sociale, solidaire… et rigoureuse.

Ainsi, la voix de l’ESS sonne-t-elle comme un rappel : il est encore possible de bâtir une réforme des retraites à la hauteur de nos valeurs. Une réforme inclusive, transparente, pilotée, juste. Ce n’est pas une simple revendication sectorielle, c’est un appel à redonner du sens. 

C’est une vision politique, humaniste, qui réhabilite le travail utile, l’engagement quotidien, le vivre-ensemble. L’économie sociale et solidaire n’a pas toutes les réponses. Mais elle pose les bonnes questions. En ces temps d’incertitude, c’est déjà beaucoup.

  • Lire le communiqué et les 10 propositions de l’UDES : lire ici
  • Le livre blanc de l’UDES « Réformer les retraites autrement » : télécharger ici

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