Les associations étaient d’accord avec François Bayrou au moins sur un point : « Vous avez le pouvoir d’effacer le gouvernement, vous n’avez pas le pouvoir d’effacer le réel », a dit le Premier ministre aux députés lors de son ultime discours, juste avant le vote de confiance qui finalement l’a fait chuter. François Bayrou leur parlait des difficultés financières de l’Etat. Les associations, elles, partagent le même constat : les difficultés financières sont là. Bien réelles. Depuis longtemps. Et face à elles, personne pour effacer le réel. Ni même pour les écouter. Alors, ça ne tient plus !
« Ca ne tient plus », c’est le mot d’ordre, le slogan, la signature choisie par Claire Thoury, présidente du Mouvement Associatif, pour exprimer le ras-le-bol généralisé, partagé par toutes les associations françaises. Car l’économie sociale et solidaire traverse une crise sans précédent : recul de l’emploi associatif, baisse des financements publics, hausse des besoins sociaux, difficultés à maintenir des projets, défiance sur leurs motivations d’intérêt général… Alors, pas question de « tout bloquer » le 10 septembre. Mais le Mouvement associatif appelle à une mobilisation nationale le mois prochain, le 11 octobre (lire ici), avec ce mot d’ordre fédérateur : « Ça ne tient plus ! ».
Et pour cause ! La France compte 1,3 million d’associations en activité. Elles représentent 20 millions de bénévoles, 1,8 million de salariés, leurs actions touchent 67 millions de personnes, du sport à la culture, de la santé à l’éducation, des initiatives locales aux programmes de solidarité nationaux. Nos associations irriguent chaque territoire. Elles répondent à des besoins que l’État ne peut plus couvrir seul.
Un secteur vital, fortement fragilisé
Mais elles craquent de toute part, du fait de décisions budgétaires de l’Etat qui vont dans le sens de Bercy, mais à contre-sens des besoins de la société française. Voilà pourquoi, dans l’émission Ess On Air de Mediatico, David Cluzeau, le président de l’UDES, appelait la semaine dernière François Bayrou à cesser de « dilapider les crédits de la démocratie » (voir notre interview vidéo). Car en quelques années, la situation des associations s’est dégradée dangereusement.
Dans une lettre ouverte, Claire Thoury dénonce un « effondrement du financement public », rappelant que la part des subventions dans les budgets associatifs a chuté de 41 % en quinze ans. « Affaiblir les associations n’a pas de sens. Elles changent concrètement la vie des gens, offrent du pouvoir d’agir, renforcent les liens sociaux et constituent un remède à la crise démocratique que nous traversons », écrit-elle. Avant la chute du gouvernement, elle ajoutait sur France Inter : « Si le budget qu’a présenté François Bayrou le 15 juillet dernier était voté, ce serait une catastrophe pour le secteur associatif. »
Un climat d’incertitude et des projets en suspens
Ces alertes sont confirmées par Recherches & Solidarités, qui a sondé 2 285 dirigeants associatifs à la rentrée 2025. Le constat de son dernier Baromètre est sans appel : 35 % des associations employeuses et 27 % des structures sans salarié jugent leur situation financière difficile, et respectivement 45 % et 36 % anticipent des difficultés dans les mois à venir. David Cluzeau rappelle aussi, sur le plateau de Mediatico, que 31 % des associations employeuses disposent de moins de trois mois de trésorerie. Dans ce contexte, il n’est pas étonnant d’apprendre que 40 000 associations envisagent de réduire leurs effectifs. Pour rappel, le secteur associatif emploie 11 % des salariés français.
Dans la même veine, les associations réduisent leur volume d’activités. Les premiers Forums de rentrée s’en font déjà l’écho. Moins de créneaux disponibles faute d’animateurs en nombre suffisants. Sans oublier parfois les hausses de tarifs, rendues obligatoires pour assurer la survie des associations, en compensation de la baisse continuelle des subventions publiques. En contrepartie du service rendu à la collectivité, l’Etat est particulièrement ingrat !
Associations et ESS : les modèles économiques hybrides en danger
Cette crise financière ne touche pas uniquement le secteur associatif, mais l’ensemble de l’ESS. Comme l’indique une tribune récente publiée sur Carenews, les structures de l’ESS reposent sur des modèles économiques hybrides, mêlant revenus d’activité, subventions publiques, dons et financements solidaires. Cette complémentarité est leur force, mais aussi leur vulnérabilité : « Ce que l’État retire d’une main, aucun investisseur, aussi engagé soit-il, ne pourra le compenser de l’autre », avertissent les auteurs.
En effet, le désengagement public fragilise l’effet de levier sur les financements privés, menaçant l’impact social global de l’économie sociale et solidaire. Moins de services à domicile pour les personnes âgées, moins d’insertion pour les chômeurs de longue durée, moins d’accompagnement pour les jeunes en décrochage… Les arbitrages budgétaires à court terme vont se traduire par plus de précarité et plus de dépenses sociales pour l’ensemble de la société, alertent encore les signataires.
Le Haut Conseil à la Vie Associative défend clairement les modèles hybrides, estimant dans son rapport publié fin juin qu’ils constituent une réponse nécessaire dans un contexte de fragilité associative. Le HCVA dénonce une définition de l’intérêt général devenue trop étroite, réduite à un simple critère fiscal de non-lucrativité, alors que celui-ci englobe avant tout l’utilité sociale, la capacité d’innovation et la vitalité démocratique des associations. Ce qui n’est finalement pas incompatible avec une activité économique, pourvu que les excédents soient réinvestis dans le projet collectif.
Une mobilisation nationale inédite
Pour autant, le soutien de l’Etat aux associations est plus que jamais légitime, au regard des services rendus à la population. L’État ferait bien de s’en souvenir, car les associations expérimentent des solutions là où la puissance publique a déserté : inclusion numérique, réemploi solidaire, mobilité rurale, insertion professionnelle, accompagnement social et éducatif…
Claire Thoury insiste : « Notre tissu associatif est quelque chose de merveilleux, un bien commun qui nous rend fiers et qui ne doit pas être sacrifié par les coupes budgétaires. » Soutenir les associations et l’ESS n’est pas une dépense, mais un investissement stratégique pour la société, garant de cohésion et de résilience collective.
C’est pourquoi le Mouvement associatif appelle à une mobilisation inédite le 11 octobre. Elle sera décentralisée sur l’ensemble du territoire. Flyers, affiches et outils de communication vont permettre d’inviter bénévoles, salariés, adhérents et usagers à se joindre à l’appel (à retrouver ici). L’objectif est clair : faire entendre la voix des associations, montrer leur impact, rappeler aux décideurs publics que leur rôle est indispensable.
Et dire au prochain Premier ministre que, décidément, il ne pourra pas compter sans elles !