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Matignon : Lecornu est revenu, l’ESS a disparu !

C’est une gifle, un mépris cinglant, un oubli coupable. L’économie sociale et solidaire n’a pas trouvé sa place dans le gouvernement Lecornu II. Trente-quatre ministres et secrétaires d’État ont été nommés, pas un seul ne porte l’intitulé d’un secteur qui représente 14% de l’emploi privé et près de 10% du PIB. Pas de porte ouverte à Bercy ? Pas même un strapontin ? Hélas, non. Et vu l’urgence politique et budgétaire, inutile d’attendre une vague complémentaire de nominations de secrétaires d’Etat. Dans le gouvernement Lecornu II, l’ESS a tout simplement disparu. 

Le timing, lui, confine à l’absurde. Cette absence intervient deux jours après la mobilisation nationale – réussie – du samedi 11 octobre, où des milliers d’associations ont brandi partout en France les pancartes #CaNeTientPlus, à l’appel du Mouvement Associatif. Elles ont dénoncé les coupes budgétaires, la crise du financement, la précarisation des emplois, les faillites de structures, le manque de confiance et l’absence de reconnaissance de l’État pour l’action associative !

Mauvais timing aussi, à deux semaines de l’ouverture en France du GSEF. Ce Forum mondial de l’économie sociale (dont Mediatico est partenaire) s’ouvrira à Bordeaux fin octobre, mais sans ministre pour l’inaugurer. Imagine-t-on seulement la France accueillir un G7, sans avoir nommé son ministre de l’Économie et des Finances ? Un oubli, sans doute… Cela n’est pas sérieux.

Maxime Baduel : « L’ESS sera chez Lescure ou Papin »

Heureusement, trois signes positifs apparaissent : Marina Ferrari est nommée ministre des Sports, de la Jeunesse et de la Vie associative. Avec cette ex-députée de Savoie (Modem), le Mouvement Associatif aura son interlocutrice, c’est une bonne chose. Pour autant, comment prétendre soutenir le secteur associatif devant sa montagne de difficultés, sans s’appuyer sur une stratégie économique et solidaire cohérente ?

Heureusement encore, Maxime Baduel reste délégué ministériel à l’ESS : « Je ne suis pas remis en question par les remaniements », indique-t-il à Mediatico. Nommé directement par le Président de la République et non par le Premier ministre, il n’est pas membre du gouvernement et voit donc passer les ministres… tout en s’attachant à intercéder au mieux auprès de chaque nouveau titulaire de Bercy, sur tous les sujets qui touchent à l’économie sociale et solidaire.

Heureusement enfin, Maxime Baduel envoie un signal rassurant : « Je ne sais pas encore si l’ESS sera dans le portefeuille de Lescure ou de Papin », confie-t-il à Mediatico. Donc, si tout va bien, au conditionnel et avec moultes précautions, l’économie sociale et solidaire « devrait » rester dans le giron de Bercy. Elle serait soit rattachée directement au ministre de l’Économie et des Finances, Roland Lescure ; soit rattachée au ministre des PME, du Commerce et de l’Artisanat, Serge Papin. Cet ex-directeur général de Système U aura moins de pouvoir que son patron à Bercy, mais il connaît au moins le fonctionnement coopératif dans le secteur de la distribution.

Des dossiers lourds laissés orphelins

Le problème, c’est que l’absence de portefeuille ESS a des conséquences stratégiques. Comment bâtir une économie résiliente sans s’appuyer sur les acteurs qui, chaque jour, lient efficacité économique, impact social et transition écologique ? Comment parler de réindustrialisation, de compétitivité ou de durabilité sans intégrer l’innovation sociale à la réflexion économique ? C’est tout le rôle d’un.e ministre de l’ESS, qui incarne une fonction d’arbitrage, de coordination et de vision, sur des dossiers qui l’attendent nombreux et urgents :

  • La stratégie nationale de l’ESS, que la France doit transmettre à Bruxelles avant la fin de l’année, à laquelle ESS France a beaucoup contribué et que le Conseil supérieur de l’ESS avait largement travaillé avec l’ancienne ministre Véronique Louwagie ;
  • La réforme de la taxe sur les salaires, réclamée par l’UDES pour soulager les entreprises sociales, injustement surchargées fiscalement comparé aux autres entreprises, alors que le gouvernement annonce une nouvelle baisse de la CVAE pour le secteur marchand ;
  • L’accès aux marchés publics, serpent de mer mais enjeu clé pour la reconnaissance économique des acteurs de l’ESS, à l’heure où la directive européenne sur les marchés publics est justement en cours de révision ;
  • L’articulation entre ESS, économie circulaire et transition écologique, au moment où le Sénat vient de reconnaître la réelle nécessité d’une approche transversale sur ces sujets, en plaidant justement pour un portage interministériel. N’en jetez plus !

Réactions dans l’ESS : un gouvernement qui écoute, mais n’entend pas

Forcément, les réactions dans l’ESS ont été cinglantes face à l’absence de représentation ministérielle. « Zéro ministre de l’économie sociale et solidaire, tandis que 180.000 emplois y sont menacés, franchement c’est fatiguant », s’emporte Benoît Hamon, président d’ESS France. La semaine dernière, dans l’émission ESS On Air de Mediatico, il déclarait : « La place de l’économie sociale et solidaire devrait être centrale dans le gouvernement, mais l’ESS reste le parent pauvre des politiques économiques, j’espère un moment de lucidité des pouvoirs publics » (voir la vidéo).

L’UDES, le syndicat des employeurs de l’ESS, renchérit : « Sans interlocuteur politique clairement identifié, le dialogue avec l’État s’en trouve fragilisé et la cohérence de la politique économique questionnée », affirme son président, David Cluzeau. Pour l’heure, le Premier ministre semble dire aux 2,5 millions de salariés de l’économie sociale et solidaire : vous n’êtes pas la priorité de ce gouvernement. Les acteurs de l’ESS jugeront donc désormais sur les actes.

Le Premier ministre Sébastien Lecornu a promis une nouvelle méthode, fondée sur “l’écoute et la concertation”. Pour le moment, les acteurs de l’économie sociale et solidaire observent que le gouvernement n’entend pas. Avec son discours de politique générale et son projet de loi de finances, Sébastien Lecornu peut encore renverser la vapeur et redonner à l’ESS la place stratégique qu’elle mérite dans le modèle économique français. 

Ou alors, il peut choisir de se priver d’un levier majeur de pacification sociale et de cohésion nationale, à l’heure où les tensions politiques, économiques, sociales et territoriales n’ont jamais été aussi fortes. 

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