2 millions de personnes âgées isolées, 750 000 en “mort sociale” : les nouveaux chiffres publiés par les Petits Frères des Pauvres confirment une crise silencieuse et grandissante. Alors que les acteurs de l’ESS et de la santé comme le Groupe VYV, le Groupe SOS, l’UDES et l’OCIRP alertent sur l’explosion du nombre de seniors dépendants, l’État tarde à réagir.
Depuis 2017, les Petits Frères des Pauvres publient un baromètre de la solitude et de l’isolement des plus de 60 ans. L’édition 2025, rendue publique ce 1er octobre, dresse un constat alarmant :
- 2 millions de personnes âgées sont isolées de leur entourage proche, soit +120 % en huit ans ;
- 750 000 d’entre elles sont en situation de “mort sociale”, sans aucun lien familial, amical ou de voisinage — une hausse de 42 % depuis 2021 ;
- 9 millions de seniors ne sortent pas tous les jours de chez eux, et plus de 5 millions n’utilisent jamais Internet.
« Nous assistons, impuissants, à une explosion de l’isolement social des aînés. Les pouvoirs publics voient sans regarder, se contentant de demi-mesures », dénonce Yann Lasnier, délégué général des Petits Frères des Pauvres.
L’association alerte depuis des années sur l’absence d’étude économique sérieuse du coût de cet isolement : hospitalisations évitables, perte d’autonomie, santé mentale dégradée. Elle estime que l’inaction coûterait plusieurs milliards d’euros par an.
Les communes, premiers remparts contre l’invisibilité sociale
Pour Yann Lasnier, la lutte contre l’isolement passe avant tout par les territoires : « Les municipalités ont un rôle clé : elles connaissent leurs habitants, elles peuvent repérer, mobiliser, et agir concrètement contre la solitude des aînés. »
À l’approche des élections municipales de 2026, l’association appelle les maires à faire du lien social une priorité politique locale, au même titre que le logement ou les transports.
Parmi ses préconisations, le baromètre propose notamment :
- la création d’une délégation interministérielle dédiée à la lutte contre l’isolement social ;
- le chiffrage économique du coût de la solitude en France ;
- le repérage systématique des personnes fragiles via les registres communaux et les outils d’intelligence artificielle ;
- le développement de formes d’habitat inclusif et de services de proximité.
“Le mur de 2030 est devant nous”
Cette alerte rejoint celle du Groupe VYV, de la Fédération hospitalière de France, du Groupe SOS et d’autres acteurs du grand âge, qui ont cosigné une tribune collective dans Le Figaro le 15 septembre dernier : « Le mur de 2030 est devant nous, et nous regardons ailleurs. »
Ils rappellent qu’à partir de 2030, la France comptera près de 5 millions de personnes âgées de plus de 85 ans, soit deux fois plus qu’aujourd’hui. Dans le même temps, la population active stagnera.
« Nous manquons déjà de personnel soignant et d’aidants. Si rien n’est fait, la dépendance deviendra une bombe sociale », avertit Stéphane Junique, président du Groupe VYV.
Les signataires appellent à une grande loi de programmation 2025-2035 sur le grand âge, pour anticiper la pénurie de main-d’œuvre, renforcer l’attractivité des métiers du soin, et reconstruire le lien de confiance entre les Français et les établissements médico-sociaux.
Les seniors au travail : un enjeu aussi pour l’ESS
La question du vieillissement ne concerne pas que les retraités. Une enquête de l’UDES menée en partenariat avec l’OCIRP et l’Université de Nîmes, publiée en septembre, met en lumière le rapport au travail des seniors dans l’économie sociale et solidaire.
Dans les entreprises de l’ESS, les plus de 50 ans représentent 32 % des salariés, contre 27 % dans le reste du privé. Mais si leur expertise est reconnue, leur niveau d’inclusion reste faible.
« Près de 60 % des salariés estiment qu’il n’existe aucun dispositif dédié aux seniors dans leur structure », souligne David Cluzeau, président de l’UDES.
L’union patronale prépare un accord multiprofessionnel sur l’emploi des seniors pour 2026, afin d’accompagner les carrières tout au long de la vie et de favoriser la transmission intergénérationnelle.
L’ESS en première ligne
Associations, mutuelles, coopératives : les acteurs de l’économie sociale et solidaire se trouvent en première ligne face à la double crise du vieillissement et de la solitude. Ils innovent déjà — habitats partagés, cafés intergénérationnels, coopératives de soins, réseaux de bénévoles — mais appellent aujourd’hui à un engagement national structurant, à la hauteur du défi démographique.
« Le jeune seul d’aujourd’hui sera le vieux isolé de demain. D’autant plus s’il est pauvre. » Cette phrase, tirée du baromètre des Petits Frères des Pauvres, résonne comme un avertissement. La transition démographique est amorcée. L’urgence, désormais, est de faire société autrement : solidaire, inclusive et coopérative.


