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À Bordeaux, l’insertion par l’activité économique interpelle le ministre Serge Papin

« Budget 2026 = plan social massif ». Le message inscrit en rouge sur le tee-shirt offert au nouveau ministre en charge de l’ESS, Serge Papin, était clair : les acteurs de l’insertion par l’activité économique refusent le sacrifice de 60.000 personnes en parcours d’insertion dans le budget 2026. Au sein des allées du Forum mondial de l’économie sociale et solidaire de Bordeaux (GSEF), une quinzaine de personnes, principalement des femmes, toutes vêtues de blanc, avait donc formé pour lui jeudi dernier une haie d’honneur, afin de lui remettre ce tee-shirt qui symbolise toutes leurs inquiétudes.

Pour Serge Papin, ce GSEF de Bordeaux était un baptême du feu et il y a fait l’objet d’un accueil disons… contrasté. Nommé ministre des PME, du Commerce et de l’Artisanat le 12 octobre, désormais « chargé de la politique de développement de l’économie sociale, solidaire et responsable » selon le décret d’attributions publié le 29 octobre, jour de l’ouverture du Forum mondial de l’ESS, Serge Papin bénéficie d’un respect certain des acteurs de l’ESS pour cet ancien dirigeant coopératif. Mais il a aussi entendu clairement leur colère face aux coupes budgétaires annoncées.

Car derrière le sourire de façade et les poignées de main, les représentants de réseaux comme Coorace, Chantier École, Emmaüs, le Mouvement des Régies de Quartier, et bien sûr le réseau de Nouvelle-Aquitaine INAÉ, ont voulu dire l’essentiel : les arbitrages budgétaires proposés par le gouvernement menacent l’équilibre de milliers de structures. La suppression prévue de 20.000 postes pour économiser 194 millions d’euros menace directement 60.000 personnes en parcours d’insertion, dénonce le Collectif IAE. Une telle coupe « ne ferait pas qu’affaiblir l’ESS, elle détruirait une politique publique exemplaire ».

Le premier discours d’un ministre « issu du sérail coopératif »

Assurément, Serge Papin s’est montré attentif. Ancien président du groupe coopératif Système U, chantre de l’économie responsable et de la relocalisation, il connaît intimement le monde de la coopération. Son arrivée au gouvernement suscite, dans l’ESS, un espoir prudent : celui d’un relais crédible au sein d’un exécutif souvent perçu comme indifférent à l’économie solidaire. Dans son premier discours officiel devant les acteurs de l’ESS, à Bordeaux, le ministre a d’ailleurs tenu à rappeler cette filiation : 

« J’ai pris connaissance mercredi des décrets d’attribution qui m’ont confié la politique de développement de l’ESS. J’y tenais particulièrement, et personnellement, car j’ai passé l’essentiel de ma vie dans un groupe coopératif. Depuis 42 ans, j’ai pu mesurer ce que représente l’engagement d’un commerçant, et les valeurs fondamentales de cet écosystème : la solidarité, l’engagement, le partage de la valeur. L’ESS, elle, organise l’entraide au service du bien commun, c’est ce que je trouve passionnant. L’ESS est importante à mes yeux et s’inscrit pleinement dans la politique que je veux mener avec vous. »

Des paroles sincères, accueillies avec politesse et parfois avec émotion, mais comment concilier ces valeurs revendiquées avec un budget qui fragilise autant le secteur de l’ESS en général, et de l’insertion en particulier ?

Une colère qui s’étend

Face à un ministre affable mais contraint par la ligne gouvernementale, plusieurs acteurs ont tenté de rappeler le sens profond de leur action : « Réduire l’inactivité, ce n’est pas une charge, c’est un investissement », cite l’un d’eux, reprenant la tribune publiée dans Le Monde par le député Stéphane Viry et les réseaux de l’IAE.

Ces derniers jours, Libération et Alternatives Économiques ont à leur tour relayé l’alerte : « Macron 2 démolit les avancées de Macron 1 », titrait ainsi le mensuel, tandis que Libé rappelait que la majorité des salariés en insertion vivent sous le seuil de pauvreté. Sur les réseaux sociaux, la mobilisation s’est amplifiée : Maud Sarda, fondatrice de Label Emmaüs, a dénoncé « un carnage social » et appelé les députés à refuser la liquidation de l’insertion.

Pour les acteurs du secteur, la situation résume le dilemme actuel de l’économie sociale et solidaire : reconnue pour son utilité, mais fragilisée par la logique comptable. Chaque euro investi dans l’insertion, rappellent-ils, génère 1,5 euro de recettes pour les finances publiques – un ratio confirmé par de multiples études d’impact. Pourtant, le gouvernement choisit aujourd’hui de rogner sur ce levier d’emploi inclusif, au moment même où le chômage repart à la hausse.

Une photo comme symbole

La photo du tee-shirt tendu à Serge Papin, partagée sur les réseaux, restera sans doute comme l’un des moments forts du Forum mondial de l’ESS. Elle condense l’enjeu : le fossé entre les discours sur la “valeur sociale” et la réalité des budgets.

L’ancien patron coopératif, désormais ministre, a promis d’« écouter » et de « co-construire une stratégie ambitieuse » pour les dix prochaines années. Mais pour les acteurs de terrain, l’urgence, c’est maintenant. Leur message, imprimé en lettres rouges et noires sur fond blanc, ne pouvait être plus clair.

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