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Budget 2026 : l’ESS étranglée, la France du cœur à l’agonie

Interloqués. Choqués. Sidérés ! Devant le projet de budget 2026, les mots ne suffisent plus. Savez-vous comment j’écris d’habitude mon édito pour Mediatico ? Je commence par compiler. Mais là… Jamais je n’ai compilé autant de réactions en 24h qu’après la présentation du projet de budget 2026. Et cela n’en finit pas. Vie associative, sport, culture, médias, jeunesse, éducation populaire, emploi, insertion, territoires, santé, écologie, tiers-lieux, solidarité internationale… Les mots sont couchés sur le papier, mais ce sont les tripes qui parlent. Le monde de l’engagement est en panique. Les cœurs sont déchirés. La solidarité est sacrifiée. La France du cœur est à l’agonie ! 

Tout commence avec le budget que Bercy consacre à l’économie sociale et solidaire, ramené à 12 millions d’euros pour financer les têtes de réseau et structurer leur action sur l’ensemble du territoire. La baisse proposée est de 54%, deux fois supérieure à celle de l’an dernier, qui avait été finalement annulée (lire ici). Patrick Jacquot, PDG de la Mutuelle des Motards, s’égosille : « 12 millions d’euros pour un secteur qui représente 14% de l’emploi privé, soit 2,6 millions d’emplois, faites le calcul : c’est 4,20 euros par emploi et par an. Deux cafés, pour tenir debout toute l’année » !

Cet étranglement de l’ESS par Bercy est d’autant plus incohérent que la ligne budgétaire du ministère de l’Économie et des Finances pour rémunérer les cabinets de conseil privés reste inchangée ! Comme on les comprend, avant trois années successives d’échéances électorales. Mais il y a là clairement deux poids deux mesures et les Français ne sont pas dupes : « Abandonner l’ESS, c’est faire un choix politique : celui de l’effondrement social », résume Michel Pier Jezequel, président de la CRESS Bretagne.

L’alerte rouge d’ESS France et du monde associatif

« Le gouvernement Lecornu fait bien pire que le gouvernement Barnier », estime pour sa part Benoît Hamon, président d’ESS France, dont le budget est directement impacté. Non seulement l’ESS n’a plus de représentant au sein du gouvernement (lire notre édito précédent), mais « ces choix politiques auront de graves conséquences », prévient-il, et « constituent un camouflet pour les acteurs de l’ESS et associatifs qui se sont mobilisés en masse le 11 octobre, pour alerter sur la situation économique catastrophique des associations ». Car 90.000 emplois associatifs sont menacés. Des postes essentiels à la vie quotidienne et au lien social. Oui, nous en sommes là. 

Pour Claire Thoury, présidente du Mouvement Associatif, la situation est gravissime : « Nous vivons une nouvelle aggravation globale de la précarisation du tissu associatif. Ces nouvelles coupes frappent un secteur déjà à bout de souffle. Une association sur deux a vu ses financements publics reculer, et près de 40 % envisagent de réduire leurs activités, alors même qu’elles sont en première ligne pour répondre aux besoins de la société ». Et cela, parce que de multiples lignes budgétaires associatives sont impactées : 

  • -26% pour le programme “Jeunesse et Vie associative”, signifiant notamment 40.000 postes de services civiques en moins et la suppression des « Colos apprenantes » ;
  • -60% des autorisations d’engagements pour la promotion du sport pour tous, sans considération pour l’héritage des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 ;
  • -700 M€ sur le budget de la solidarité internationale, déjà à un niveau historiquement bas (-40% entre 2024 et 2025), en pleine aggravation des crises humanitaires ;
  • -16 M€ pour le Fonds de Soutien à l’Expression Radiophonique (FSER), soit une baisse de 44%, nouvelle attaque frontale contre les moyens d’expression des associations.

Sur le terrain, la violence de ces propositions budgétaires ne passe pas : « Je travaille dans des associations à but non lucratif depuis 30 ans, j’ai l’impression de vivre l’effondrement de mon secteur d’activité. En 30 ans, il y a eu des hauts et des bas, mais ce que nous vivons en ce moment est inédit », témoigne Catherine Mechkour, secrétaire générale du Réseau national des Ressourceries et Recycleries.

IAE : de fausses économies, de vraies fractures

En matière d’emploi, la stupeur est générale : l’insertion par l’activité économique voit son budget fondre de 541 M€. Cela équivaut à la disparition de 60.000 parcours d’insertion, selon le réseau national Chantier École. « Un gigantesque plan social concentré sur les Français les plus fragiles », traduit Benoît Hamon. 

Ce sont de « fausses économies qui vont provoquer une hausse des dépenses sociales », et provoquer la fermeture de structures d’insertion, estime l’UNAI. Cela va même « réduire les recettes de cotisations sociales de l’État et les recettes de TVA payées par les personnes qui retrouvent du pouvoir d’achat », renchérit Anne Besnier, à la régie de quartiers de Lannion. Il faudrait au contraire maintenir « le dispositif de retour à l’emploi le plus efficace qui existe depuis quarante ans », affirme la Fédération des entreprises d’Insertion (FEI).

Même des fonds d’investissement défendent l’insertion par l’activité économique : « Chez Phitrust, nous investissons depuis plus de 15 ans dans des entreprises d’insertion comme La Varappe, Lemon tri, Ecodair, Main Forte… 80 à 90% de leur chiffre d’affaires vient du marché, elles créent de la valeur économique et sociale. Nous continuerons à investir dans ces entrepreneurs qui réconcilient performance et impact, mais nous ne pourrons réussir seuls ».

Des territoires qu’on abandonne

Le Réseau des Collectivités Territoriales engagées pour une économie solidaire (RTES) déplore aussi des réductions budgétaires « sans précédent pour l’ESS » dans ce projet de budget 2026, mais qui touchent des champs d’activité encore différents : 

  • PTCE : soutien anecdotique de 110 k€ aux Pôles Territoriaux de Coopération Économique
  • Education populaire : -44 millions d’euros
  • Démocratisation culturelle et artistique : -45 millions d’euros
  • Tiers-lieux : soutien réduit à 0,7 M€ (contre 8 M€ en 2025, et 13 M€ en 2024)

Sur la transition écologique, « on sacrifie des dépenses essentielles », renchérit encore Alexandre Poidatz, responsable plaidoyer Climat et Inégalités chez Oxfam France, « comme sur les services publics, ou sur le budget du Fonds Vert contre le changement climatique qui a baissé de 74% sur la même période ». Nous savons pourtant que ce qui n’est pas investi aujourd’hui dans la transition écologique coûtera bien plus cher demain. 

Un poker menteur à l’Assemblée

Et maintenant ? Ne lâchons rien, mais gardons notre sang froid. La période de discussion budgétaire vient à peine de s’ouvrir au Parlement. Or, la donne politique a changé : les nouvelles règles du jeu veulent que le Premier ministre, Sébastien Lecornu, joue au poker menteur. Il s’est engagé à ne pas passer en force avec le 49.3. Il présente donc le budget le plus dur possible, en attendant les négociations parlementaires. 

Le Pacte du pouvoir de vivre appelle ainsi les député·es et les sénateur·trices à répondre aux préoccupations urgentes des plus modestes : la crise du logement, le défi climatique, les déserts médicaux, la précarisation du travail, l’éloignement des services publics… « La mobilisation du 11 octobre n’était qu’une première étape et le vote du budget 2026 confirme que le bras de fer ne fait que commencer », écrit le Mouvement Associatif.

La France observée par le monde entier

La balle est dans le camp des parlementaires, c’est sur eux qu’il faut mettre la pression. Timothée Duverger, chercheur et responsable de la chaire TerrESS à Sciences Po Bordeaux (qui accueille le GSEF dans quinze jours), partage cet avis : « L’Assemblée nationale doit réagir et défendre la société civile, le groupe d’étude parlementaire sur l’ESS va jouer un rôle clé », espère-t-il.

C’est dans ce drôle de contexte que la France se prépare à accueillir le GSEF (dont Mediatico est partenaire). Dans 15 jours à Bordeaux, ce Forum mondial de l’économie sociale et solidaire sera l’occasion pour le monde entier de regarder la France. Et de se rappeler qu’elle joua longtemps le rôle de pionnière en matière d’économie sociale et solidaire. C’était un autre temps.

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