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Burnout dans l’ESS : un malaise profond, le débat est rouvert 

Chantage à l’engagement, épuisement professionnel, éco-anxiété, pression croissante des appels à projets… Un débat trop souvent étouffé dans l’économie sociale et solidaire revient sur le devant de la scène, depuis la publication par La Tribune d’un décryptage sur le sujet, intitulé : « Quand l’ESS abîme ses salariés ». 

Un titre électrochoc, relayé sur LinkedIn par Jean Moreau, fondateur de l’entreprise sociale Phénix, auquel ont rapidement réagi nombre de dirigeants, d’experts du travail, ou d’anciens salariés de l’économie sociale et solidaire. Tous appellent l’ESS à regarder en face ses zones d’ombre, avant qu’un secteur voué à transformer le monde ne cesse de transformer quoi que ce soit… par manque de soin envers celles et ceux qui le portent.

Un secteur qui attire… et qui use

« Au départ, le projet est galvanisant, on se donne à fond ! » témoigne Mélanie, ancienne salariée d’une association girondine. Comme tant d’autres jeunes diplômés et professionnels en quête de sens, elle a rejoint l’ESS avec enthousiasme. Mais une fois la phase de lancement passée, elle constate que la pression financière est devenue la norme, que le décalage entre discours et réalité est criant. Elle finit en burnout.

Le constat n’est pas isolé, loin de là. Beaucoup de structures vivent un turnover régulier, et pas seulement du fait des contrats courts des stagiaires ou des apprentis. Certaines équipes sont épuisées avant même d’avoir stabilisé leur modèle économique, étranglées par la précarisation associative, les appels à projets permanents et les coupes budgétaires inattendues.

Quand l’engagement devient une charge

Pour Jean Moreau, cofondateur de Phénix, l’analyse est simple : « Des jeunes arrivent ultra-motivés, puis on observe parfois des phénomènes de burnout et un turnover qu’on aimerait mieux maîtriser ». Le dirigeant reconnaît avoir vu ce schéma dans sa propre entreprise à impact. Et son message fait réagir : l’engagement ne doit pas servir de prétexte à l’épuisement, ni de cache-misère à des organisations défaillantes.

Plusieurs voix appuient cette analyse. Fanny Corpet, spécialiste de l’accompagnement d’entrepreneurs, estime que, trop souvent, « sous couvert d’une mission inspirante, on s’oublie soi-même ». Fabien Secherre, directeur marketing dans l’économie à impact, renchérit : « Si l’on abîme les plus engagés, on crée les conditions d’un backlash profond. »

Le tabou de la rémunération et des conditions de travail

Autre sujet brûlant : la rémunération, souvent insuffisante. On le sait, les modèles économiques trop fragiles des petites associations ne permettent souvent pas de faire mieux. Mais, pour Jean Moreau, il serait essentiel que les grilles de salaires ne soient pas trop déconnectées du marché, car nul ne peut vivre de l’amour du bien commun, et l’ESS ne peut pas s’en remettre à la seule abnégation de ses salariés. Sinon, estime Fabien Secherre, « l’engagement par le travail devient un truc de bobos qui en ont les moyens. »

A défaut de rémunération juste et équitable dans l’ESS elle-même, de nouveaux risques apparaissent, comme la frustration d’être moins bien rémunéré que ses camarades d’études ou l’incessant turn over des équipes d’encadrants, qui empêche la structure de se stabiliser. 

Un problème systémique, aggravé par l’austérité

Pour Jean-Louis Vayssière, expert CHSCT, les causes sont plus larges : « Gouvernance, salariés, bénévoles… tous sont épuisés par les coupes budgétaires qui frappent un secteur en première ligne face aux fractures sociales ». Il alerte sur un engrenage socialement dévastateur si rien n’est fait. Et appelle à remettre le travail réel au cœur de l’organisation, par des espaces de discussion qui redonnent du pouvoir d’agir aux équipes.

Enfin, le malaise n’est pas seulement organisationnel. Il touche aussi au terrain émotionnel, particulièrement dans un contexte de crises écologiques, sociales et démocratiques. L’ESS est devenue, selon Makesense, un véritable creuset de l’éco-anxiété, en particulier chez les plus jeunes.

Certaines structures tentent d’y répondre et Makesense leur propose gratuitement des groupes de parole “Balance ton flip”, afin d’ouvrir des espaces d’expression émotionnelle et d’entraide. Une initiative saluée, tant ces lieux de respiration manquent.

L’ESS peut-elle devenir exemplaire ?

Derrière ces souffrances, il y a un enjeu vital : si l’ESS perd ses salariés, elle perd ses forces vives, sa crédibilité et sa capacité d’impact. Et risque d’assister, impuissante, à un monde qui se défait, faute de bras et de cœurs pour le réparer.

Il est temps d’agir. D’ouvrir davantage de lieux de parole. D’apaiser la culture de l’urgence. De remettre la santé mentale et la sécurité psychologique au centre. De réinventer une organisation du travail à la hauteur des valeurs affichées.

Les organisations de l’ESS ont elles aussi besoin de monter en compétences sur leur politique de gestion des ressources humaines et sur la mise en application de ses propres recommandations. A condition de ne pas détourner le regard, l’ESS pourra ambitionner de devenir exemplaire. Pour l’heure, elle ne l’est pas, mais le débat est ouvert. Il était temps.

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