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Bilan du GSEF 2025 de Bordeaux : l’ESS, entre espérance et résistance

Tenez-vous prêts pour le Brésil ! Oui, c’est là-bas, à Maricá, près de Rio de Janeiro, que se tiendra en 2027 le prochain Forum mondial de l’Économie sociale et solidaire, a annoncé vendredi soir le maire de Bordeaux, Pierre Hurmic, en clôturant le GSEF 2025. Ahhh, Rio ! Mais avant d’y penser, commençons par atterrir de Bordeaux. Car il s’est passé la semaine dernière, dans la capitale girondine, quelque chose de fort, d’émouvant, d’universel. Qui donne énormément d’espoir !

Pendant trois jours, du 29 au 31 octobre, plus de 10.000 participants (on en attendait 4.500), venus de 109 pays et représentant 907 villes, ont vibré au rythme du 7e Forum mondial de l’ESS, en bon anglais le Global Social Economy Forum (GSEF). Trois sites ont accueilli cette ruche humaine, le Palais 2 l’Atlantique, la Cité bleue et le Hangar 14, où se sont croisées les langues, les cultures, les utopies, et les colères aussi.

Une énergie rare, portée par la jeunesse et l’espérance

À la Cité bleue, la jeunesse mondiale a joué, elle a ri, elle a construit. Lors d’un débat mouvant, qui questionnait ses certitudes. Lors d’un escape game, où la seule issue possible était bien entendu l’ESS. Face à un monde qui s’effondre, elle a opposé sa détermination, sa coopération, sa foi dans le collectif. Puis la jeunesse s’est emparée du micro. Au troisième jour du Forum, la Déclaration de la jeunesse est venue affirmer, comme un cri du cœur, venu des cinq continents : 

« Nous, jeunesses d’Amérique latine, d’Afrique, d’Asie, d’Europe et d’Amérique du Nord, sommes réunies à Bordeaux, unies par nos diversités et guidées par une même aspiration. Nous affirmons notre volonté de bâtir un avenir fondé sur la justice sociale, la durabilité et la coopération. Nous choisissons l’Économie Sociale et Solidaire (ESS) comme horizon commun ». 

La conseillère régionale Marie-Laure Cuvelier résume les choses ainsi : « Cette génération, que l’on fait grandir dans un monde anxiogène, était là, debout, rappelant que l’ESS n’est pas une alternative mais une nécessité ». La jeunesse était même au coeur de l’organisation de l’événement, comme l’avait souhaité le maire de Bordeaux, avec l’appui de partenaires essentiels comme Sciences Po Bordeaux et les acteurs de l’éducation populaire. Leur ferveur était si communicative que les participants de tous âges et de toutes origines ont ressenti cette vitalité.

Trois déclarations pour changer le monde

Au final, le Forum a fait l’objet de trois grandes déclarations internationales, à la fois politiques et poétiques. Outre celle de la jeunesse, les participants ont signé une déclaration pour la paix, ainsi que la très officielle Déclaration de Bordeaux, lue en séance plénière : 

« Nous, 10 800 participants présents au Forum mondial de l’ESS de Bordeaux, nous déclarons que l’économie sociale et solidaire porte un projet de transformation sociale. Nous avons le sentiment de vivre en pleine dystopie. Sept des neuf limites planétaires sont dépassées, les inégalités à l’intérieur de chaque pays s’accroissent. Mais l’avenir n’est pas écrit (…) Nous nous engageons à donner suite à la mobilisation inédite du GSEF2025 en déployant des efforts sur nos territoires pour faire connaitre et reconnaitre l’ESS et ses ambitions… ».

La Déclaration pour une paix durable, prononcée par Ahmed Galai, prix Nobel de la paix, appelle quant à elle à un engagement collectif qui sonne comme une promesse : « Dans un nombre croissant de pays, les femmes, les hommes, les enfants et la nature sont victimes de guerres et d’actes de génocide. L’absence de démocratie dans le système économique d’un pays affaiblit le rôle des citoyens et les relègue au second plan (…) Nous appelons, au nom de l’humanité et de la solidarité, à la fin des conflits en cours et à la construction d’un projet collectif international fondé sur la coopération, le dialogue interculturel, l’harmonie et la protection de la Vie ».

Les élus locaux et un ministre en première ligne

Autour du maire Pierre Hurmic, président du GSEF, l’unité politique était claire : Alain Rousset (Région Nouvelle-Aquitaine), Jean-Luc Gleyze (Département de la Gironde), Alain Garnier (Bordeaux Métropole) et Stéphane Pfeiffer ont tous rappelé que l’ESS doit être au cœur de la transition écologique et démocratique. Pierre Hurmic a eu cette formule, qui restera sands doute : « Le Forum n’est pas l’anti-Davos. C’est l’après-Davos. »

Le Forum a aussi été un moment politique fort : le baptême du feu de Serge Papin, nouveau ministre chargé de l’Économie sociale et solidaire, dans un contexte budgétaire très tendu en plein débat sur le projet de loi de Finances 2026. « J’ai revendiqué les décrets d’attribution qui me confient la politique de développement de l’ESS », a-t-il confié à la tribune, pour sa toute première intervention face à l’économie sociale et solidaire. « J’y tenais personnellement, car si je suis ici comme ministre, c’est parce que j’ai passé l’essentiel de ma vie dans un groupe coopératif. »

Le ministre a parlé avec sincérité, saluant « la solidarité, l’engagement et le partage de la valeur » qui fondent l’écosystème de l’ESS. Il a prévenu que « le contexte budgétaire oblige à faire des choix ». « On ne pourra pas tout faire, mais il faudra faire les choses bien », a-t-il insisté, avant de promettre de travailler à une stratégie nationale ambitieuse pour les dix ans à venir, dans le cadre de la Stratégie nationale de l’ESS qui doit être envoyée à Bruxelles d’ici à la fin de l’année et qu’il reprend à son compte.

Une allocution présidentielle… sifflée

Le Président de la République avait, lui, choisi la vidéo pour s’adresser aux participants de ce Forum international. Il a rappelé que l’ESS pèse 14 % de l’emploi privé et 10 % du PIB – invalidant de fait la récente note de la DG Trésor qui évoquait 5% du PIB. Il a également salué le travail d’ESS France et de son président Benoît Hamon, ainsi que celui du délégué ministériel à l’ESS Maxime Baduel, tout en soulignant le rôle moteur de l’Union européenne qui a fait de l’ESS « un axe important sous présidence espagnole ». Mais dans la salle, les huées ont fusé, preuve que le fossé reste grand entre les discours et la réalité budgétaire vécue par les acteurs de l’ESS.

Lancement du Mois de l’ESS : le Prix national décerné à Dédale

Enfin, le GSEF était le cadre idéal pour lancer le 18e Mois de l’ESS, en présence de l’ensemble des réseaux. L’occasion pour ESS France de remettre son Prix national de l’ESS 2025 à Dédale, une initiative girondine exemplaire : son projet RÉSOLV (Réhabilitation Écologique et Solidaire des Logements Vacants) lutte contre le sans-abrisme, en mobilisant le foncier inoccupé et en réhabilitant des logements de manière écologique. Un modèle d’innovation sociale rapide, économe et durable, salué unanimement.

Et maintenant ? « Oui, le soufflé va retomber », écrivait Marie-Laure Cuvelier après le Forum. Mais l’énergie, elle, ne retombe pas. Les 10 800 participants du GSEF Bordeaux 2025 ont partagé une conviction : l’ESS n’est pas une utopie subventionnée, elle est d’une utilité quotidienne, elle constitue une urgence démocratique.

Et à travers les visages de la jeunesse, les larmes d’Ahmed Galai, la sincérité de Serge Papin, les débats passionnés sur la coopération internationale, et les mots de Claude Alphandéry dans le film-témoignage projeté en avant-première « ESSpérance : Avancez comme si vous ne pouviez pas échouer », c’est une espérance lucide, une résistance joyeuse que l’on a senti (re)naître. Malgré l’adversité.

Alors oui, cap sur le Brésil. Et continuons d’avancer, comme si nous ne pouvions pas échouer.


Téléchargez les trois déclarations finales du GSEF en français :

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