Climato-sceptique, le Sénat ? Pas le moins du monde, dirait-on. Les sénateurs ont adopté vendredi, presque à l’unanimité, le projet de loi « Lutte contre le gaspillage et économie circulaire » que préparait Brune Poirson depuis 18 mois. Ah bon ? Mais quel est donc ce grand fracas médiatique sur l’abandon, au Sénat, du projet de consigne sur les bouteilles en plastique ? Ah oui, le plastique ! Nicolas Hulot déjà, en son temps… Brune Poirson a eu beau plaider, argumenter, batailler, rien n’y a fait. Mais dans cette bataille homérique, l’affaire de la “consigne” n’était qu’un cheval de Troie : la jeune secrétaire d’Etat a gagné sur beaucoup d’autres tableaux. Elle apparaît, au fond, beaucoup plus politique que certains le croyaient.
Certes, nous, consommateurs, aurions bien aimé rapporter nos bouteilles plastique dans un point de collecte, en échange de quelques centimes. Le système existe déjà dans 10 pays européens. Si les sénateurs ont dit non, c’est d’abord parce que les collectivités, qui revendent les matières les plus valorisables de leurs déchetteries, sont opposées à une nouvelle perte de revenus. Ensuite parce que les ONG environnementales et les associations de consommateurs sont contre : instaurer une consigne sur les bouteilles en plastique légitimerait leur présence dans le paysage, là où il faut au contraire s’en débarrasser. Au fond, seuls les industriels de la boisson plaidaient pour cette « consigne pour recyclage ». Mais le recyclage autorisant l’incinération, là encore, cette mesure était un non-sens écologique.
Pour autant, pas de répit pour le plastique. Le Sénat interdit les microplastiques dans les produits de consommation courante, qui s’infiltrent dans l’environnement via les eaux usées. Il exclut toute distribution gratuite de bouteilles en plastique dans les lieux recevant du public. Il fait inscrire deux objectifs ambitieux dans la loi : collecter 100% des bouteilles plastique d’ici à 2025 (contre un objectif européen de 90% en 2029) et réduire de 50% les emballages plastiques à usage unique d’ici à 2030. Le défi est de taille, la distribution alimentaire et la vente à emporter sont directement concernées.
Surtout, ce projet de loi Économie circulaire lance un pavé dans la marre avec l’interdiction de détruire les objets neufs. Oui, vous avez bien lu : chaque année en France, vêtements, chaussures, électroménager, produits d’hygiène, produits de beauté… sont détruits, bien qu’ils soient encore neufs. Pourquoi ? Simplement parce qu’il s’agit de fins de séries. Ou en raison d’un changement de packaging, purement marketing. Absurde socialement, écologiquement, économiquement. C’en sera bientôt fini en France et c’est une première mondiale au niveau législatif. Aux industriels et aux distributeurs, à présent, de trouver des circuits de distribution alternatifs, en premier lieu auprès des associations caritatives.
Le texte met aussi en place 6 nouvelles filières REP, ou filières de « responsabilité élargie du producteur », en plus des 14 déjà existantes (lire aussi ci-dessous) : les lingettes et textiles sanitaires, les articles de bricolage-jardinage, la filière jouets, les articles de sport, les matériaux de construction, le tabac avec ses 30 milliards de mégots par an jetés en France. Ainsi, 20 filières de production en France devront désormais prendre en charge, dès l’étape de fabrication, le coût de la future collecte des produits arrivés en fin de vie. C’est le principe du pollueur payeur qui s’appliquera à toute leur filière, avec un coût d’éco-collecte payée par le consommateur.
Globalement, le texte de loi ramène donc les entreprises au principe de responsabilité à l’égard de la société. Il instaure un indice de réparabilité sur les produits électroniques à compter du 1er janvier 2021. Il oblige les vendeurs à indiquer combien de temps les pièces détachées sont disponibles. Il impose une organisation plus efficace pour les déchets de chantier dans le BTP, afin d’éviter les déchets sauvages. Et il contraint les éco-organismes à déclarer leurs flux de déchets envoyés à l’étranger, pour éviter par exemple de prendre la Malaisie pour la poubelle du monde.
Ce projet de loi pourrait être amélioré, sans aucun doute : les députés s’en chargeront peut-être en novembre ou décembre. Mais nul ne pourra reprocher à Brune Poirson de manquer d’ambition. Avec son projet de loi, elle met véritablement l’économie française sur les rails de l’économie circulaire.