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Fast fashion : Avec Shein, la colère explose dans l’économie solidaire

Alors qu’Amazon, Zara et Shein s’affrontent pour le marché français du vêtement à bas prix, les acteurs de l’économie sociale et solidaire dénoncent une “provocation” à l’heure où la planète étouffe sous les textiles jetables.

Car c’est un télescopage sidérant. Le 1er octobre, jour d’entrée en vigueur du nouvel éco-score textile, le géant chinois Shein a annoncé l’ouverture de ses premiers magasins permanents en France : une boutique au BHV Marais à Paris, et cinq autres prévues dans les Galeries Lafayette de Dijon, Reims, Grenoble, Angers et Limoges.

Pour beaucoup, cette annonce a fait l’effet d’une gifle. Florentin Letissier, adjoint à la maire de Paris chargé de l’économie circulaire et solidaire, a été parmi les premiers à réagir : « Shein veut faire son entrée dans de grands magasins en France. C’est non ! On ne peut pas accepter de dérouler le tapis rouge à la fast fashion qui détruit notre environnement et nos emplois. Il existe en France beaucoup de marques locales qui font du vêtement de qualité, que nous devons soutenir ».

Candidat à la mairie de Paris, Emmanuel Grégoire a régi sur le même ton : « L’arrivée annoncée de Shein au BHV est inacceptable. Le modèle d’ultra fast fashion, fondé sur la surproduction, le marketing agressif et l’exploitation de Shein n’a pas sa place au cœur de Paris, encore moins dans un lieu aussi symbolique que le BHV », affirme celui qui espère succéder à Anne Hidalgo en 2026.

Une provocation en pleine Semaine du réemploi solidaire

Dans l’économie sociale et solidaire, la colère est montée très vite également. « Abasourdi·es et en colère ! », réagit le Réseau National des Ressourceries et Recycleries, dans un communiqué devenu viral. En pleine Semaine du Réemploi Solidaire, les structures du secteur croulent déjà sous les tonnes de vêtements issus de la fast fashion – Shein en tête – « d’une qualité si médiocre qu’ils ne trouvent ni repreneurs, ni seconde vie, et finissent brûlés ou enfouis ».

Pour le réseau, la provocation est double : « Shein ouvre ses magasins le jour même où la France lance un éco-score textile ». Et de rappeler la mécanique destructrice du modèle : surproduction massive et émissions de CO₂, exploitation humaine insoutenable, marketing agressif qui pousse à la surconsommation.

Chaque année, 3,5 milliards de vêtements sont vendus en France — soit 51 par habitant. Pour respecter les Accords de Paris sur le Climat, il faudrait diviser ce chiffre par dix !

Une “course à l’échalote” dans la fast fashion mondiale

La mauvaise nouvelle, c’est que Shein n’est pas seul à vouloir dévorer le marché. Le même jour, Amazon lançait en France “Haul”, une plateforme low-cost qui copie les codes de Shein et Temu, promettant des t-shirts à 5 euros et des rabais incessants. De son côté, Zara prépare pour 2026 l’arrivée de Lefties, sa marque “ultra low cost”.

Autrement dit : chacun s’aligne sur le pire. La planète textile est engagée dans une véritable course à l’échalote, où chaque acteur tente de descendre toujours plus bas en termes de prix, de délais et d’exigences sociales.

Cette fuite en avant heurte de plein fouet les ambitions françaises de loi anti-fast fashion, votée au printemps 2025 après des mois d’attente… mais toujours en attente de son décret d’application !

« Ce décret sera publié sur un champ de ruines ! » alerte Maud Sarda, cofondatrice de Label Emmaüs. « Va-t-on continuer à voir toutes les digues tomber une à une face aux géants de la fast fashion, sans qu’il ne se passe rien ? »

Shein au BHV Marais : symbole d’un système à bout de souffle

Le BHV Marais, institution parisienne du commerce “chic” mais en difficultés financières, apparaît paradoxalement comme la première victime collatérale de cette guerre des prix, alors même que son directeur général a tout fait pour ouvrir grand ses portes à Shein. 

Mais depuis l’annonce de Shein, plusieurs marques françaises, comme Le Slip Français, AIME, Talm, ODAJE, ou Culture Vintage, ont annoncé leur départ du grand magasin, dénonçant une trahison de valeurs… et une accumulation de redevances impayées par le BHV.

« Shein représente tout ce que nous combattons ! », résume Carine Pechavy, fondatrice de la marque éthique Maison Pechavy. « Le manque d’éthique sociale, environnementale, l’usage de la copie… Il n’est pas envisageable d’apparaître à côté du géant asiatique. »

Cheval de Troie et appel au boycott

Même les Galeries Lafayette prennent leurs distances. Le groupe, qui n’exploite plus directement les magasins concernés (désormais gérés par la Société des Grands Magasins, SGM), assure son “profond désaccord” avec la nouvelle stratégie du BHV et menace de bloquer son partenariat.

Du côté des commerçants indépendants, la colère gronde aussi. La Fédération nationale de l’habillement, qui représente 33 000 boutiques en France, parle de l’entrée de Shein aux Galeries Lafayette comme d’un cheval de Troie. Sa présidente dans le Grand Est, Hacina Saada, appelle à boycotter les Galeries Lafayette et à une mobilisation politique avant les municipales de 2026 : « On ne défend pas seulement nos commerces. On défend nos vies, nos centres-villes, un art de vivre qui est en train de disparaître. »

L’ESS en résistance

Face à cette offensive du low cost mondialisé, les acteurs de l’économie sociale et solidaire rappellent que d’autres modèles de consommation textile existent, qui promeuvent réemploi, solidarité, relocalisation, dignité du travail : Label Emmaüs, Croix-Rouge Insertion, Tissons la solidarité, La Textilerie, et les ressourceries implantées dans l’ensemble des régions françaises.

Mais ces acteurs peinent à rivaliser médiatiquement avec des géants du e-commerce aux budgets colossaux. D’où leur appel à une loi ambitieuse et à un choc culturel de sobriété vestimentaire.

« Le problème, ce n’est pas seulement la consommation, c’est la surproduction organisée par la fast fashion », résume le Réseau National des Ressourceries. « Refusons que des enseignes comme Shein dictent notre avenir au détriment des humains et de la planète. »

Entre urgence écologique et inertie politique

La “loi anti fast fashion” votée à l’Assemblée en avril 2024, puis édulcorée au Sénat, est censée imposer des taxes environnementales sur les modèles à bas coût et interdire les publicités incitant à la surconsommation. Mais sans décret d’application, rien ne change. Et tant que le gouvernement intérimaire se contente de gérer les affaires courantes, rien ne peut avancer.

Pendant ce temps, Amazon, Zara et Shein accélèrent. La course à l’échalote continue, menaçant d’emporter dans sa chute tout l’écosystème du textile éthique et du commerce de proximité.

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