Le nouveau Premier ministre, François Bayrou, sera-t-il le champion du désendettement de la France ? Et donc l’ardent défenseur d’un douloureux plan de rigueur, tant redouté sur nos territoires, que n’aurait pas renié Michel Barnier ? Le Figaro semble le faire exprès : il relevait hier, non sans ironie, que la dette de la ville de Pau, dont François Bayrou est aussi maire, a quasiment doublé depuis dix ans. Sous-entendu : le maire serait bien avisé de s’en occuper.
Mais ce n’est pas l’endettement de la ville de Pau qui a poussé Moody’s à dégrader la notation de la dette française samedi soir. Pour l’agence de notation financière américaine, faute de stabilité politique et de vote d’un budget crédible à court terme, explique La Tribune, la France semble aujourd’hui incapable de redresser ses comptes publics rapidement. Un coup de semonce, quelques heures à peine après la nomination du nouveau Premier ministre.
François Bayrou a pourtant placé depuis longtemps la dette au coeur de son combat politique. Lors des campagnes présidentielles de 2007 et 2012 déjà, il était seul à tirer le signal d’alarme sur le sujet, rappelle le magazine Challenges. A l’époque, le monde découvrait les subprime, la faillite de Lehman Brothers, la crise des dettes souveraines et la panique de toute la zone euro. Quinze ans plus tard, le contexte politique a changé. Et la dette française a explosé. Sont passés par-là trop de cadeaux fiscaux, le Covid, l’Ukraine, le retour de l’inflation… et un creusement abyssal de la dette française début 2024, que l’ancien ministre Bruno Le Maire n’a toujours pas expliqué.
Les Cigales et les Fourmis
Mais avez-vous remarqué qu’en 2024, aucun économiste ne parle plus d’annuler la dette, ni de la « dette perpétuelle » qui semblait si séduisante en 2020 (lire sur Mediatico) ? Pourtant, les économistes se sont longtemps écharpés sur le sujet. Résumons. Sachant que l’économie n’est pas une science exacte, donc que les théories économiques sont empreintes d’idéologie politique, nous classerons les économistes en deux camps (pour faire simple) :
- À droite, les économistes fourmis, orthodoxes et rigoristes qui disent : « Une dette doit être remboursée, sinon les prêteurs n’ont plus confiance et ne prêtent plus, ou alors ça coûte très cher en intérêts ». Mais qu’est-ce qu’ils sont rabat-joie, ceux-là ! Ils veulent l’austérité. C’est sûr, cela va créer encore plus de misère sociale (lire Franceinfo).
- À gauche, les économistes cigales, permissifs, un tantinet décomplexés, qui tentent : « Une dette n’est jamais qu’une écriture comptable, il suffit d’effacer la ligne, on fait pareil pour tout le monde pour que ce soit équitable, et ni vu ni connu ». C’est plus disruptif, plus alternatif, donc plus amusant. Près de 150 économistes de 13 pays européens ont défendu cette position dans Le Monde en 2021. Mais évidemment, ce serait trop beau !
En réalité, le discours sur « l’effacement de la dette » a disparu du débat public à l’été 2021. À l’époque, nous sortons à peine de la crise Covid. L’État a déboursé des milliards pour sauver les entreprises, préserver les emplois grâce au chômage partiel, stimuler l’apprentissage des jeunes confinés à leurs cours en visio… Or, pour dépenser des milliards que l’on n’a pas, il faut s’endetter. Face à la persistance du débat sur l’annulation de la dette française, le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, prend alors la parole. En juillet 2021, il tranche : « Ce miracle monétaire n’est pas une option » (lire ici). Fin de la récréation !
Effacer la dette : la fenêtre de tir s’est refermée
Depuis, plus un mot. Le monde a changé. Les urgences sont ailleurs : l’énergie, le réarmement civique, énergétique, industriel et surtout militaire, si coûteux. Les conditions d’acceptabilité politique et financière ne sont plus réunies : « Il est beaucoup plus difficile de le faire aujourd’hui qu’au début 2021, alors que les taux étaient au plus bas et proches les uns des autres », écrivait l’économiste Jézabel Couppey-Soubeyran fin 2022 dans L’Humanité. En 2024, les taux se sont envolés. Pour ceux qui espéraient encore, la fenêtre de tir s’est refermée.
Que peut faire François Bayrou ? Les hypothèses sont peu nombreuses. L’histoire économique nous a enseigné 7 méthodes pour réduire la dette d’un État :
- la renonciation à payer notre dette (c’est exclu)
- l’abandon de cette dette par nos créanciers (illusoire)
- la gestion excédentaire de nos comptes publics (hahaha)
- la croissance économique (mais elle diminue)
- l’inflation (qui pèse sur les ménages et les entreprises)
- les hausses d’impôts (qui produisent le même effet)
- la baisse des dépenses (politique de rigueur)
Cette liste est éclairante : François Bayrou n’a donc pas d’autre choix que de baisser les dépenses et d’augmenter les impôts, voire d’y ajouter quelques privatisations. Le gouvernement Bayrou sera donc un gouvernement Barnier-bis : lorsqu’il sera adopté, en effet, le budget 2025 ne sera pas très différent du budget Barnier censuré par l’Assemblée nationale. Le sujet n’est donc plus du tout budgétaire, il devient parfaitement politique.
L’ESS, debout face aux défis de 2025
Quels gages François Bayrou donnera-t-il pour faire voter son projet de budget ? Et à qui les donnera-t-il ? Au RN ou au PS, sans trop en avoir l’air ? Aux redevables de l’ISF ou aux populations précaires ? À Moody’s et aux marchés financiers ? Avec peut-être la prise en compte de la dette écologique, pour contrebalancer une réflexion jusqu’ici beaucoup trop financière ?
Les acteurs de l’économie sociale et solidaire, mobilisés au parlement et dans la rue lors de la précédente bataille budgétaire, vont rester plus vigilants que jamais. À l’heure du désengagement de l’Etat, et par ricochet des collectivités locales, ils redoutent la baisse de leurs crédits déjà contraints, les fermetures de postes, les faillites d’établissements, l’arrêt forcé d’activités de solidarité, de lien social, de sport, de culture, d’éducation populaire ou d’insertion par l’activité économique.
Ils le redoutent, car ce sont eux qui sont debout, en première ligne, face aux défis de 2025.