« Le danger de voir disparaître les CRESS existe », affirmait Denis Philippe à la presse marseillaise en février dernier*, à l’issue d’un débat budgétaire particulièrement violent pour les acteurs de l’ESS. Président de la Chambre régionale de l’ESS (CRESS) de la région PACA, Denis Philippe représente donc les acteurs de l’Économie sociale et solidaire de son territoire et poursuivait ainsi : « L’État manque de courage et n’a jamais pris la décision de financer les CRESS, comme c’est le cas pour les Chambres de commerce et de l’industrie ou les Chambres de métier et de l’artisanat ».
Avec les 20 recommandations du Conseil Général de l’Économie remises à Bercy en décembre, mais publiées seulement le 27 mai dernier, les choses vont peut-être changer.
Pour l’heure, les structures de représentation, d’animation territoriale et de soutien aux acteurs de l’ESS s’interrogent fortement sur leur rôle, leurs moyens et leur visibilité dans un paysage institutionnel en pleine évolution. A tout le moins, elles se demandent comment représenter et structurer une communauté d’acteurs économiques à la demande de l’Etat, sans les financements adéquats.
Le rapport du Conseil général de l’économie (CGE) pose les bases d’une réforme en profondeur, avec 20 recommandations pour mieux positionner les CRESS face aux défis contemporains. Une réflexion stratégique sensible, alors que s’élabore la nouvelle feuille de route gouvernementale pour l’ESS à l’horizon 2030, menée dans un esprit de « large consultation » par la ministre en charge de l’ESS, Véronique Louwagie (lire notre article).
Un positionnement stratégique à clarifier
Depuis leur reconnaissance légale par la loi ESS de 2014, les CRESS sont en effet investies d’un mandat large et parfois flou : représenter les acteurs de l’ESS, les rassembler, les outiller, les accompagner, les faire connaître… Mais dans la réalité des territoires, leurs capacités varient selon les régions, leur financement est instable et leur rôle peine parfois à être compris, y compris par les partenaires publics.
Le rapport du CGE le dit sans ambages : les missions des CRESS doivent être priorisées, stabilisées, et soutenues de manière lisible. Trois grandes fonctions méritent d’être sanctuarisées et financées par l’État et les Régions, estime le CGE :
- La représentation de l’ESS dans les instances publiques régionales
- L’observation du secteur, via la collecte et la valorisation des données
- L’accueil, l’information et l’orientation (AIO) des porteurs de projets et du grand public
Tout le reste — accompagnement, animation territoriale, formation, actions de communication, etc. — relèverait d’initiatives complémentaires, à financer par d’autres canaux, estime le CGE.
Un pilotage plus structuré à l’échelle régionale
Pour renforcer la cohérence des politiques ESS dans les territoires, le CGE recommande à Bercy la mise en place de deux dispositifs clés dans chaque région :
- Un comité stratégique ESS, réunissant l’État, la Région, les collectivités et les têtes de réseaux ;
- Un comité des financeurs, pour coordonner les aides publiques vers les structures régionales de l’ESS, dont les CRESS.
L’objectif serait de sortir d’une logique de guichet ou de projet isolé, estime le CGE, pour ancrer les CRESS dans une gouvernance partagée, au service d’une stratégie ESS régionale co-construite. Voilà qui n’est pas sans faire écho à la première conférence des financeurs convoquée par le ministre de l’Économie le 29 avril dernier (lire notre édito), dont il ressort que l’État ne peut pas tout, mais que l’Union européenne et de très nombreux acteurs de la finance privée pourraient prendre le relais, à condition de s’organiser.
Des modèles économiques à diversifier
Et le rapport du CGE d’enfoncer le clou : la dépendance des CRESS aux financements publics atteint 73% en moyenne et reste un talon d’Achille, estiment les rapporteurs, qui encouragent une diversification de leur financement via plusieurs canaux :
- Le développement de prestations marchandes : formations, services aux collectivités, accompagnement des structures ESS…
- Le renforcement des adhésions volontaires, très inégales selon les régions ;
- L’appui d’ESS France pour mutualiser des fonctions support, telles que les achats, la communication, les logiciels…
Pour sa part, l’État est invité à conditionner son soutien à une trajectoire pluriannuelle incluant une part croissante d’autonomie financière, mais aussi à reconnaître la nécessité d’un socle de financement pérenne pour assurer les missions d’intérêt général.
Une gouvernance à consolider, des moyens à professionnaliser
Autre point de vigilance : la gouvernance des CRESS. Certaines d’entre elles peinent encore à fonctionner de façon fluide, notamment dans les régions issues de fusions récentes. Le CGE recommande un soutien technique pour les aider à clarifier leur fonctionnement statutaire, mais aussi à renforcer leur conseil d’administration, en lien avec les têtes de réseaux régionales.
Il plaide également pour une montée en compétences des équipes salariées, un renforcement des fonctions support, et une meilleure articulation avec ESS France dans une logique de réseau apprenant.
Le risque de marginalisation si rien ne change
En filigrane du rapport, une alerte : à défaut de clarification stratégique et de consolidation des moyens, les CRESS risquent de se marginaliser. Alors même qu’elles pourraient, si elles se réforment, devenir de véritables maisons de l’ESS régionales, capables de piloter des actions de terrain, de faire dialoguer les écosystèmes publics et privés, et d’incarner une vision transversale de l’économie sociale et solidaire dans les politiques territoriales.
Une opportunité politique à saisir
Ce rapport intervient à un moment charnière. Tandis que le gouvernement prépare la stratégie ESS 2030, ces 20 recommandations offrent une base de travail concrète pour réaffirmer le rôle stratégique des CRESS dans la transformation de nos modèles économiques à l’échelle de nos territoires.
À condition que les acteurs concernés — État, Régions, collectivités, réseaux — s’en emparent collectivement. Et que le ministre de l’Économie, au premier chef, accepte de jouer le jeu.
- Le rapport du CGE remis à Bercy : télécharger ici
- L’interview de Denis Philippe à la presse marseillaise : lire ici