C’est une publication très officielle sur l’ESS qui tombe… parfaitement à contre-temps. Alors que Bordeaux accueille le Forum mondial de l’économie sociale (GSEF), que le Mois de l’ESS sera lancé ce jeudi à Bordeaux et que le gouvernement finalise enfin sa Stratégie nationale pour le développement de l’ESS à l’attention de Bruxelles, voici que la Direction générale du Trésor publie son nouveau panorama officiel 2025 de l’économie sociale et solidaire.
On aurait pu croire ce document bienvenu, mais tel n’est pas le cas. Car ce document précieux, intitulé “L’économie sociale et solidaire : une réponse aux enjeux démocratiques, sociaux et environnementaux ?”, se fonde en bonne partie… sur des données de 2019. Soit avant la crise sanitaire, l’inflation et les récentes mutations du secteur associatif.
2,6 millions de salariés, 150 000 structures
L’ESS représente 2,6 millions de salariés, soit 13,6 % de l’emploi privé, répartis dans 150 000 structures, indique le document. En 2019, donc. À cela s’ajoutent 22 millions de bénévoles : une force collective considérable, souvent invisible dans les statistiques économiques. Dans certains départements ruraux comme la Lozère ou les Deux-Sèvres, l’ESS pèse jusqu’à un quart de l’emploi local, assurant des services essentiels — soins à domicile, insertion, culture, sport — qui maintiennent la cohésion sociale des territoires. Il est sans doute utile de le rappeler.
Mais voilà que la DG Trésor indique aussi que l’économie sociale et solidaire génère 5 % de la valeur ajoutée nationale, sans autre explication sur son mode de calcul. Comment cela ? Les économistes spécialisés en comptabilité nationale enseignent que c’est la somme des valeurs ajoutées brutes d’un pays qui représente son PIB. Autrement dit, la contribution de l’ESS au PIB ne serait que de 5% ? Les réseaux de l’ESS annoncent pourtant généralement un chiffre deux fois supérieur !
Reconnaissons, il est vrai, que des économistes au sein même de l’économie sociale et solidaire trouvent depuis longtemps le chiffre de 10% du PIB exagéré. Ils préfèrent évoquer plus modestement le chiffre de 8%. Mais tout de même, 5% ! Bercy se serait-il trompé ? Les chiffres de 2019 sont-ils si éloignés de ceux de 2025 ? Ou la DG Trésor a-t-elle un intérêt certain à minorer le poids de l’ESS dans l’économie, à l’heure où l’étranglement budgétaire des association mobilise les réseaux de l’ESS qui réclament la préservation des subventions publiques ?
Une économie solide mais sous-financée
Hormis ce point – essentiel – la note du Trésor dresse un tableau précis du secteur de l’économie sociale et solidaire. Elle indique que les associations, coopératives, mutuelles, fondations et entreprises commerciales de l’ESS partagent trois principes structurants : utilité sociale, gouvernance démocratique et lucrativité limitée. Et que ces fondements, consolidés par la loi de 2014, distinguent encore aujourd’hui le modèle de l’ESS d’une économie « à mission » plus récente, parfois concurrente sur le terrain de la communication ou des financements à impact.
La DG Trésor insiste également sur le financement des acteurs de l’ESS. Elle relève que leur profil de risque est plutôt favorable, ce qui est un point positif : 76 % des entreprises de l’ESS obtiennent une « bonne cotation » Banque de France, contre 63 % pour les autres entreprises. Et pourtant, le secteur reste confronté à une fragilité structurelle : des marges réduites (14,6 % contre 24,6 % ailleurs), des fonds propres faibles et une forte dépendance à la commande publique. Résultat : un accès encore difficile aux financements traditionnels, faute de compréhension de la part des bailleurs de fonds de leurs modèles économiques.
Pourtant, les pistes de financement pour l’ESS existent, relève le Trésor : épargne solidaire (18 Md€ d’encours), livrets A et LDDS fléchés vers l’ESS (9 Md€), garanties publiques, et contrats à impact social qui associent investisseurs et acteurs de terrain… Entre 2016 et 2024, seuls 29 contrats à impact ont été signé,s mais ils ont su mobiliser 78 M€ en faveur d’initiatives sociales.
Vers un “compte satellite” pour mieux mesurer l’ESS
Le Trésor souligne par ailleurs les effets ambivalents de la loi Pacte (2019), qui a introduit la raison d’être et le statut d’entreprise à mission dans le droit commun. Si cette évolution a permis de diffuser les objectifs sociaux et environnementaux au-delà du périmètre de l’ESS, elle contribue aussi à un brouillage des repères : seuls un tiers des Français déclarent savoir précisément ce qu’est l’ESS, malgré son poids économique considérable. Le risque, selon le rapport, serait de voir les financements à impact se concentrer sur des projets “verts” plus rentables, au détriment d’initiatives sociales à retour différé.
Pour mieux mesurer la contribution réelle du secteur à l’économie nationale — y compris la valeur informelle du bénévolat et les externalités positives du secteur — la France s’apprête à créer un compte satellite l’INSEE dédié à l’ESS, sur le modèle de ceux déjà existants pour le tourisme ou le logement. Financé par la Commission européenne, ce projet permettra d’unifier les données et de mieux valoriser l’apport global de l’économie solidaire à l’économie nationale
Et c’est peut-être là le seul point positif à tirer de l’annonce d’une contribution au PIB ne dépassant pas les 5% : si ce chiffre est erroné, c’est qu’il est mal mesuré… mais que l’erreur peut être rattrapée. Un chantier crucial, au moment où la stratégie nationale de l’ESS doit être transmise à la Commission européenne, et où le secteur revendique un rôle majeur dans la transition écologique, sociale et démocratique.
La note 2025 de la DG Trésor sur l’ESS :





